Comme une adolescente sous le regard de ma fille : l’amour à l’épreuve du foyer
« Tu rentres encore tard ce soir, maman ? »
La voix de Nora claque dans le couloir, sèche, presque inquisitrice. Je sursaute, mon sac à main à la main, prête à filer. Je me retourne, croise son regard sombre. Elle a 25 ans, ma fille, mais parfois j’ai l’impression d’être la gamine et elle la mère. Je bafouille une excuse – une réunion tardive au boulot – alors qu’en réalité, François m’attend dans un petit bistrot du 11e arrondissement. Je mens. Encore. Et je sens la honte me brûler la gorge.
Depuis mon divorce avec Paul, il y a onze ans, Nora et moi avons tout partagé : les galères financières, les soirées télé à deux, les vacances en Bretagne chez ma sœur. J’ai mis ma vie amoureuse entre parenthèses pour elle. J’ai eu des aventures, bien sûr, mais jamais rien de sérieux. Je me disais que je n’avais pas le droit d’imposer un autre homme à ma fille. Et puis, il y a six mois, j’ai rencontré François.
François… Rien que d’y penser, j’ai le cœur qui s’emballe. Il a ce sourire un peu triste des hommes qui ont vécu, des mains larges et rassurantes. Il m’écoute, il me regarde vraiment. Avec lui, je redeviens légère, vivante. Mais voilà : je n’ose pas en parler à Nora. J’ai peur de sa réaction. Peur qu’elle se sente trahie, abandonnée. Peur qu’elle me juge.
Alors je mens. Je cache mon téléphone quand il m’écrit. Je change de parfum avant de rentrer pour qu’elle ne sente pas celui de François sur moi. Je ris nerveusement quand elle me demande pourquoi je souris toute seule devant mon café du matin.
Un soir, alors que je rentre plus tôt que prévu, je surprends Nora en train de fouiller dans mon sac. Elle sursaute en me voyant.
— Tu cherches quelque chose ?
Elle rougit, baisse les yeux.
— Je voulais juste… vérifier si tu allais bien. Tu es bizarre ces temps-ci.
Je sens la colère monter. Pourquoi ne me fait-elle pas confiance ? Mais au fond, c’est moi qui ne lui fais pas confiance. C’est moi qui ai peur d’être jugée.
Le lendemain, au bureau, je confie mes doutes à ma collègue et amie, Sylvie.
— Tu sais Emma, ta fille est adulte maintenant. Elle doit comprendre que tu as droit au bonheur toi aussi.
Mais est-ce si simple ? En France, on parle beaucoup d’émancipation féminine, mais une mère qui refait sa vie après 45 ans reste suspecte. On attend d’elle qu’elle se consacre à ses enfants, qu’elle soit sage et discrète.
Un samedi matin, alors que Nora est sortie faire des courses, François passe à la maison pour la première fois. On boit un café dans la cuisine en riant comme des ados. J’ai l’impression de revivre mes 20 ans. Soudain, la porte claque : Nora est rentrée plus tôt que prévu.
Elle s’arrête net en nous voyant.
— Bonjour…
François se lève poliment.
— Bonjour Nora, enchanté.
Elle ne répond pas tout de suite. Son regard passe de lui à moi, puis elle lâche :
— Tu aurais pu me prévenir.
Je sens mes joues brûler.
— Je voulais te le dire… Mais j’avais peur que tu le prennes mal.
Elle hausse les épaules et part s’enfermer dans sa chambre. François pose sa main sur la mienne.
— Ça va aller ?
Je hoche la tête mais j’ai envie de pleurer.
Le soir même, Nora frappe à ma porte.
— Maman… Je suis désolée d’avoir été froide tout à l’heure. C’est juste… bizarre de te voir avec quelqu’un d’autre que papa.
Je prends une grande inspiration.
— Je comprends. Mais tu sais, moi aussi j’ai besoin d’aimer et d’être aimée.
Elle s’assoit sur mon lit.
— Tu crois que tu pourrais être heureuse avec lui ?
Je souris tristement.
— J’en ai envie en tout cas. Mais j’ai besoin que tu me laisses cette chance.
Elle me serre dans ses bras.
— D’accord… Mais promets-moi de ne plus rien me cacher.
Je promets. Mais au fond de moi, je sais que rien ne sera plus jamais comme avant. Il faudra du temps pour trouver un nouvel équilibre.
Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’être soi-même face à ses propres enfants ? Pourquoi la société nous pousse-t-elle à choisir entre notre bonheur et celui de nos proches ? Est-ce que j’ai le droit d’aimer sans avoir à me justifier ? Qu’en pensez-vous ?