Après le divorce de mon fils, j’ai perdu ma belle-fille adorée : Comment suis-je devenue une étrangère du jour au lendemain ?
« Tu comprends, maman, c’est mieux comme ça. »
La voix de Julien tremblait au téléphone. J’ai senti tout de suite que quelque chose s’effondrait. Je me suis assise sur le bord du lit, serrant le combiné si fort que mes doigts en sont devenus blancs. « Mais… et toi ? Et… et elle ? »
Julien a soupiré. « Kasia et moi, c’est fini. On a signé les papiers ce matin. »
J’ai cru que mon cœur s’arrêtait. Kasia… Ma belle-fille, mon amie, presque ma fille. Depuis qu’elle était entrée dans la vie de Julien, elle avait illuminé nos repas de famille, apporté sa douceur dans notre maison de banlieue lyonnaise. Je me souvenais encore de son rire cristallin lors du premier Noël passé ensemble, de la façon dont elle m’aidait à préparer la bûche, les mains pleines de chocolat.
Je n’ai pas osé demander pourquoi. J’ai senti que Julien voulait raccrocher, fuir la conversation. « Je dois y aller, maman. On se rappelle ? »
Le silence a envahi la maison. J’ai regardé autour de moi : les photos sur le buffet, où Kasia souriait à côté de Julien, les souvenirs d’anniversaires, de vacances à la mer… Tout cela semblait soudain appartenir à une autre vie.
Les jours ont passé. J’ai attendu un message de Kasia, un appel, un signe. Rien. Je me suis dit qu’elle avait besoin de temps. Mais au fond de moi, une angoisse sourde grandissait : allais-je vraiment la perdre ?
Un samedi matin, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai écrit :
« Bonjour Kasia, j’espère que tu vas bien. Si tu veux parler ou passer à la maison, tu sais que tu es toujours la bienvenue. »
Pas de réponse.
J’ai essayé d’appeler. Sa voix sur le répondeur était la même, douce et chaleureuse : « Laissez-moi un message… » Mais elle ne rappelait jamais.
À la boulangerie du quartier, on me demandait des nouvelles : « Et ta belle-fille, Françoise ? On ne la voit plus ! » Je haussais les épaules, incapable d’expliquer ce vide qui s’installait.
Un dimanche, alors que je faisais le marché à la Croix-Rousse, je l’ai aperçue au loin. Elle marchait vite, les yeux baissés, un sac en bandoulière. Mon cœur s’est emballé. J’ai voulu l’appeler mais ma voix est restée coincée dans ma gorge.
Le soir-même, j’ai supplié Julien : « Dis-lui que je pense à elle ! Qu’elle me manque ! »
Il a détourné les yeux. « Maman… C’est compliqué pour elle aussi. Elle veut tourner la page. »
Tourner la page ? Comme si notre histoire n’avait jamais existé ? Comme si ces années partagées n’étaient qu’un chapitre à effacer ?
J’ai commencé à douter de moi-même. Avais-je fait quelque chose de mal ? Avais-je été trop présente ? Trop envahissante ? Je repassais nos conversations dans ma tête, cherchant le moindre faux pas.
Les fêtes approchaient. La maison semblait plus froide que jamais. J’ai dressé la table pour trois au lieu de quatre. Le silence était assourdissant.
Ma sœur Monique m’a dit : « Tu dois accepter, Françoise. Ce n’est plus ta famille maintenant… »
Mais comment accepter l’inacceptable ? Comment faire le deuil d’une relation qui n’était pas seulement liée à mon fils mais à moi aussi ?
Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de Lyon, j’ai reçu une carte postale sans signature :
« Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Je ne t’oublierai jamais. »
J’ai reconnu l’écriture fine de Kasia. Les larmes ont coulé sur mes joues.
J’ai compris alors que parfois, aimer c’est aussi savoir lâcher prise. Que certains liens ne survivent pas aux tempêtes du destin.
Mais chaque fois que je passe devant la boulangerie où nous allions ensemble ou que je prépare une tarte aux pommes comme elle les aimait, je me demande :
Est-ce qu’on peut vraiment devenir étrangère à quelqu’un qu’on a tant aimé ? Est-ce que vous aussi, vous avez déjà perdu quelqu’un sans comprendre pourquoi ?