Quand le rêve de la garde partagée devient cauchemar : le cri silencieux d’une mère française
« Tu ne comprends pas, Camille ! Je n’en peux plus ! » La voix d’Antoine résonne dans le couloir exigu de notre ancien appartement, transformé en champ de bataille depuis notre séparation. Je serre les poings, retenant mes larmes. Lucas, six ans, et Manon, quatre ans, sont dans la chambre d’à côté. Ils écoutent, forcément. Comment pourraient-ils ne pas entendre ?
Je me revois, il y a un an à peine, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de Nanterre. Antoine, costume impeccable, sourire assuré, promettait monts et merveilles : « Je veux être un père présent, Madame la juge. Je veux la garde alternée. » Son avocat, Maître Lefèvre, avait dressé le portrait d’un père modèle, prêt à tout sacrifier pour ses enfants. Moi, j’avais hoché la tête, soulagée de voir qu’il ne cherchait pas à fuir ses responsabilités. J’étais naïve.
Les premiers mois ont été corrects. Antoine venait chercher Lucas et Manon le vendredi soir. Il les emmenait au parc André Malraux, leur achetait des crêpes au Nutella. Il m’envoyait des photos : « Regarde comme ils sont heureux ! » Mais très vite, les messages ont changé de ton.
« Manon a encore fait pipi au lit. »
« Lucas refuse de manger ses légumes. »
« Je n’arrive pas à les coucher avant 22h. »
Un soir, il m’a appelée en panique : « Camille, tu peux venir ? Je crois que Lucas a de la fièvre… » J’ai traversé la ville en courant, mon cœur battant à tout rompre. Quand je suis arrivée, Lucas dormait paisiblement. Antoine était assis sur le canapé, la tête entre les mains.
« Je n’y arrive pas », a-t-il murmuré.
J’ai voulu lui dire que moi non plus, parfois, je n’y arrivais pas. Que la maternité n’avait rien d’un conte de fées. Mais je me suis tue. Parce que moi, je n’avais pas le choix.
Les semaines ont passé. Antoine a commencé à annuler des week-ends : « J’ai une réunion importante », « Ma mère est malade », « Je dois partir à Lyon pour le boulot ». Les enfants attendaient devant la fenêtre, leurs petits sacs prêts. Parfois il venait, parfois non.
Un dimanche soir, alors que je déposais Manon chez lui, elle s’est accrochée à ma jambe en pleurant : « Je veux rester avec toi, maman ! » Antoine a levé les yeux au ciel : « Tu vois ? Même elle ne veut plus venir… »
La colère est montée en moi comme une vague brûlante. « Peut-être qu’elle ressent ton manque d’enthousiasme », ai-je lancé sans réfléchir.
Il a claqué la porte.
Les disputes se sont multipliées. Parfois devant les enfants, malgré nos efforts pour les épargner. Ma famille me disait : « Laisse tomber la garde alternée. Prends un avocat ! » Mais je voulais croire qu’Antoine pouvait changer.
Un soir d’hiver, alors que je venais récupérer Lucas après une semaine chez son père, il m’a chuchoté : « Papa crie beaucoup… Il dit qu’il est fatigué de nous avoir tout le temps. »
J’ai senti mon cœur se briser.
J’ai convoqué Antoine dans un café du centre-ville. Il est arrivé en retard, l’air épuisé.
— Tu regrettes ? ai-je demandé sans détour.
— Regretter quoi ?
— La garde alternée. Être père à plein temps.
Il a soupiré longuement.
— Je croyais que ce serait différent… Qu’on partagerait vraiment… Mais tout est sur mes épaules quand ils sont là. Je n’ai plus de vie.
— Tu crois que c’est différent pour moi ?
Il a baissé les yeux.
Je l’ai regardé longtemps. J’ai pensé à toutes ces femmes qui élèvent seules leurs enfants sans jamais se plaindre. À toutes ces mères qui n’ont pas le luxe de regretter leur choix.
La semaine suivante, j’ai pris rendez-vous avec Maître Girard, mon avocate. Elle m’a écoutée sans m’interrompre puis a posé sa main sur la mienne : « Vous savez, Camille… Beaucoup d’hommes idéalisent la paternité après un divorce. Mais peu sont prêts à en assumer la réalité quotidienne. »
J’ai déposé une demande de modification de garde. Antoine ne s’est pas opposé. Il a même semblé soulagé.
Aujourd’hui, Lucas et Manon vivent principalement avec moi. Antoine les voit un week-end sur deux et pendant la moitié des vacances scolaires. Il a retrouvé un semblant de vie sociale ; il poste des photos de ses sorties sur Instagram. Parfois il m’envoie un message : « Merci de t’occuper d’eux… Je ne suis pas fait pour ça à plein temps. »
Je ne lui en veux plus. Mais je me demande souvent : pourquoi la société attend-elle des femmes qu’elles soient des mères parfaites alors qu’elle excuse si facilement les pères défaillants ? Est-ce que mes enfants comprendront un jour ce que j’ai traversé pour eux ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce vraiment juste que tout repose encore sur les épaules des mères en 2024 ?