Entre Deux Feux : Mon Enfant, Le Champ de Bataille de Mes Parents Divorcés
« Tu ne vas quand même pas laisser ta mère l’emmener à la mer ce week-end, Camille ? Tu sais bien que c’est mon tour… » La voix de mon père résonne dans l’entrée, sèche, tranchante. Je serre Louise contre moi, sentant son petit cœur battre fort sous sa grenouillère rose. Elle n’a que trois ans, et déjà, elle devient l’enjeu d’une bataille qui me dépasse.
Ma mère surgit du salon, les joues rouges d’indignation. « Jean, tu ne vas pas recommencer ! Camille a besoin de stabilité pour sa fille, pas de vos querelles ! »
Je ferme les yeux un instant. Je voudrais hurler, leur dire d’arrêter, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Depuis leur divorce, il y a quinze ans, ils n’ont jamais su se parler sans s’attaquer. Mais depuis la naissance de Louise, tout s’est aggravé. Chacun veut être le grand-parent préféré. Chacun veut prouver qu’il est le plus aimant, le plus présent, le plus indispensable.
Je me revois adolescente, assise sur le carrelage froid de la cuisine, écoutant leurs cris à travers la porte. Je croyais que le temps apaiserait les blessures. Je me trompais.
Le téléphone sonne. C’est ma sœur, Élodie. « Tu tiens le coup ? » demande-t-elle d’une voix douce. Je ris nerveusement. « Ils sont insupportables… J’ai l’impression d’être redevenue une gamine prise en otage entre eux. Mais maintenant c’est Louise qu’ils utilisent. »
Élodie soupire. « Tu dois poser des limites, Cam. Pour toi et pour ta fille. »
Mais comment ? Comment dire à mon père qu’il ne peut pas acheter l’amour de Louise avec des montagnes de cadeaux ? Comment expliquer à ma mère que ses critiques constantes sur la façon dont je l’élève ne font qu’alimenter la rivalité ?
Le soir venu, je couche Louise. Elle me regarde avec ses grands yeux noisette. « Maman, pourquoi papi et mamie crient tout le temps ? »
Mon cœur se serre. « Ils t’aiment très fort, ma chérie… Mais parfois, les adultes oublient comment on doit se parler gentiment. »
Je descends dans la cuisine. Mon père est là, assis à la table, les mains crispées autour d’un mug de café. « Tu sais, Camille… Je veux juste passer du temps avec elle. Ta mère essaie toujours de me voler mes moments. »
Je m’assieds en face de lui. « Papa… Ce n’est pas une compétition. Louise a besoin de vous deux, mais elle a surtout besoin de paix autour d’elle. Tu te rends compte que vous me mettez dans une position impossible ? »
Il détourne les yeux. « Je ne veux pas te faire de mal… Mais je ne supporte pas l’idée qu’elle préfère ta mère à moi. »
Le lendemain matin, ma mère débarque avec un gâteau au chocolat et une nouvelle robe pour Louise. « Regarde comme elle est jolie ! Tu vois bien qu’elle est heureuse avec moi… »
Je sens la colère monter. « Maman, arrête ! Ce n’est pas une question de qui la rend la plus heureuse ! Elle a besoin de stabilité, pas de cadeaux ou de rivalités ! »
Elle me regarde comme si je venais de la trahir. « Tu prends toujours sa défense… Comme quand tu étais petite… »
Je claque la porte et sors sur le balcon pour respirer. Les voisins doivent entendre nos disputes à travers les murs fins de notre immeuble à Lyon.
Le soir même, je décide d’organiser un dîner avec mes parents et Élodie. Je veux mettre les choses à plat.
La table est dressée, Louise dessine dans un coin du salon. Mes parents s’installent en silence, Élodie me lance un regard d’encouragement.
Je prends une grande inspiration : « Je ne peux plus continuer comme ça. Vous vous battez pour l’amour de Louise comme vous vous êtes battus pour moi et Élodie après votre divorce. Mais ce n’est pas sain. Je veux que ma fille grandisse dans la sérénité, pas dans la rivalité ou la jalousie. Si vous continuez comme ça… je devrai limiter vos visites. »
Un silence glacial tombe sur la pièce.
Mon père baisse la tête : « Je suis désolé… Je ne voulais pas te faire revivre tout ça. »
Ma mère essuie une larme : « J’ai peur qu’elle m’oublie si je ne suis pas là… Mais tu as raison, Camille. On doit faire mieux pour elle… et pour toi aussi. »
Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti un espoir fragile naître entre nous.
Mais au fond de moi subsiste une inquiétude : combien d’enfants en France vivent ce genre de guerre froide familiale ? Est-ce que l’amour peut vraiment guérir les blessures du passé ou sommes-nous condamnés à répéter les mêmes erreurs ? Qu’en pensez-vous ?