Mon fils est revenu vivre chez moi après son divorce : ma maison, mon cœur, sens dessus dessous

« Guillaume ! Tu pourrais au moins ranger tes chaussures ! » Ma voix résonne dans le couloir étroit de notre appartement de Créteil. Il est 19h, je rentre du travail, fatiguée, et je trébuche sur ses baskets sales. Il ne répond pas. Je le trouve affalé sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone.

Je m’appelle Françoise, j’ai 58 ans. J’ai élevé Guillaume seule depuis que son père nous a quittés pour refaire sa vie à Lyon. J’ai tout sacrifié pour mon fils : mes rêves, mes amours, mes nuits. Je me souviens encore de ses promesses d’enfant : « Maman, quand je serai grand, tu n’auras plus jamais à t’inquiéter. »

Il y a deux ans, il s’est marié avec Camille. Une belle cérémonie à la mairie du 12e arrondissement, des sourires, des larmes de joie. J’étais fière. Il avait trouvé un bon travail dans une agence immobilière et, même s’il ne roulait pas sur l’or, il m’aidait parfois à payer les factures – en cachette de Camille. Il disait que c’était normal, que je m’étais trop privée pour lui.

Mais tout s’est effondré il y a six mois. Un soir d’hiver, il a débarqué chez moi avec deux valises et le regard vide. « C’est fini avec Camille », a-t-il murmuré. Je n’ai pas posé de questions tout de suite. J’ai préparé du thé, comme quand il était petit et qu’il avait peur du noir.

Depuis, il occupe la petite chambre qui était la sienne autrefois. Mais rien n’est comme avant. Il laisse traîner ses affaires partout, oublie de faire les courses, passe ses journées à envoyer des CV sans conviction. Parfois il sort le soir et rentre tard, sans un mot. J’ai l’impression d’avoir recueilli un étranger.

Un soir, alors que je prépare une soupe aux poireaux, il entre dans la cuisine :
— Tu peux arrêter de me surveiller ? Je suis pas un gamin !
Je serre la louche si fort que mes jointures blanchissent.
— Je ne te surveille pas, Guillaume. Mais tu pourrais au moins participer un peu…
Il soupire et quitte la pièce en claquant la porte.

Je me demande où j’ai échoué. Est-ce ma faute s’il n’arrive pas à se relever ? Est-ce que je l’ai trop couvé ?

Les semaines passent et la tension monte. Un samedi matin, alors que je plie le linge dans le salon, il explose :
— Tu veux que je parte ? C’est ça ? Tu veux être tranquille ?
Je sens les larmes monter.
— Non… Je veux juste retrouver un peu de paix chez moi.
Il me regarde avec une tristesse immense.
— J’ai tout perdu, maman. Camille… mon boulot… Je sais même plus qui je suis.

Je m’approche de lui et le prends dans mes bras. Il pleure comme un enfant. Je réalise alors que derrière sa colère se cache une détresse profonde.

Mais la cohabitation reste difficile. Les voisins commencent à parler : « Alors, votre fils est revenu ? Il n’a pas trouvé mieux ? » Même ma sœur Sylvie me juge : « Tu devrais le pousser à se bouger ! À son âge… »

Un soir d’avril, alors que la pluie tambourine contre les vitres, Guillaume rentre ivre. Il s’effondre dans l’entrée en marmonnant :
— J’suis désolé… J’suis qu’un boulet…
Je l’aide à se relever tant bien que mal. Mon cœur se serre : ce n’est plus le garçon souriant que j’ai élevé.

Le lendemain matin, je décide d’agir. Je frappe à sa porte.
— Guillaume, il faut qu’on parle.
Il s’assoit sur son lit, les yeux rougis.
— Je peux plus continuer comme ça… Ni toi ni moi.
Il hoche la tête.
— Je vais chercher un studio… Promis.

Mais trouver un logement à Paris avec un chômage partiel et des dettes relève du miracle. Les semaines passent, rien ne change vraiment. Parfois on rit ensemble devant un vieux film ; parfois on s’ignore pendant des jours.

Un dimanche après-midi, alors que je range la cave, je tombe sur une boîte remplie de dessins d’enfance de Guillaume : des maisons colorées, des familles heureuses. Je fonds en larmes. Où est passé ce petit garçon plein d’espoir ?

Le soir même, je lui montre la boîte.
— Tu te souviens ?
Il sourit faiblement.
— J’avais oublié…
On feuillette les dessins ensemble. Pour la première fois depuis longtemps, on parle vraiment : de ses peurs, de ses regrets, de ses rêves brisés.

Petit à petit, quelque chose change entre nous. Il accepte une mission d’intérim dans un supermarché du quartier. Ce n’est pas grand-chose mais c’est un début. Il recommence à sortir voir des amis – sans rentrer ivre.

Mais ma maison reste encombrée : par ses affaires, par nos non-dits, par cette tristesse qui plane encore parfois.

Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes dans la cuisine silencieuse, je me demande : ai-je bien fait de tout accepter ? Jusqu’où doit-on aller par amour pour son enfant adulte ? Et vous… auriez-vous fait pareil à ma place ?