Mon cœur s’est brisé deux fois : Comment mon rêve américain est devenu un cauchemar
— Tu ne comprends jamais rien ! hurla Guillaume, son visage rouge de colère, alors que la porte d’entrée claquait violemment derrière lui. Je restai là, figée, les mains tremblantes, le cœur battant à tout rompre. C’était la fin. Après sept ans de mariage, de disputes étouffées et de silences lourds, tout s’était effondré en un instant. Je n’avais plus que le bruit sourd de mes sanglots pour me tenir compagnie dans notre appartement de Lyon.
Les semaines qui suivirent furent un long tunnel de solitude et de honte. Ma mère, Françoise, ne cessait de répéter : « Tu aurais dû faire plus d’efforts, ma fille. On ne divorce pas comme ça. » Même mon frère, Paul, me regardait avec une pitié mêlée de reproche. J’avais trente-cinq ans, pas d’enfants, et désormais une étiquette de femme divorcée qui collait à ma peau comme une seconde nature.
C’est alors qu’André est entré dans ma vie. Un ami d’enfance retrouvé par hasard sur Facebook, expatrié à Boston depuis dix ans. Il m’écrivait des messages pleins d’humour et d’espoir : « Ici, tout est possible, tu verras ! » Peu à peu, il a su rallumer en moi une flamme que je croyais éteinte. Nous avons passé des heures à discuter par Skype, à rêver d’une nouvelle vie loin des jugements et des souvenirs douloureux.
Un soir d’octobre, il m’a proposé : « Viens me rejoindre ici. On recommence tout à zéro. » J’ai hésité, bien sûr. Quitter la France, ma famille, mon travail de professeure de français… Mais l’idée d’un nouveau départ était trop tentante. J’ai vendu mes livres, donné mes meubles, embrassé ma mère en retenant mes larmes et pris un aller simple pour Boston.
Au début, tout semblait magique. André m’attendait à l’aéroport avec un bouquet de pivoines — mes fleurs préférées — et un sourire immense. Il m’a fait visiter sa maison en bois blanc, m’a présenté à ses amis français expatriés qui m’ont accueillie avec chaleur autour d’un verre de vin et d’un plateau de fromages importés. Je croyais avoir trouvé ma place.
Mais très vite, la réalité s’est imposée. André travaillait sans relâche dans une start-up ; il rentrait tard, épuisé, souvent irritable. Je passais mes journées seule dans une ville immense où tout me semblait étranger : la langue, les codes sociaux, même la façon dont les gens se saluaient dans la rue. J’ai tenté de trouver du travail, mais mon diplôme n’était pas reconnu ici. On me proposait des petits boulots mal payés ou des postes de baby-sitter.
Un soir, alors qu’André rentrait encore plus tard que d’habitude, je lui ai lancé :
— Tu m’avais promis qu’on serait heureux ici…
Il a soupiré sans même me regarder :
— Je fais ce que je peux. Tu crois que c’est facile pour moi aussi ?
Les disputes ont commencé à s’accumuler. Il me reprochait ma nostalgie de la France ; je lui reprochais son absence et son manque d’écoute. Nos amis français se sont peu à peu éloignés — « Elle se plaint tout le temps », ai-je entendu chuchoter lors d’un dîner.
Ma mère m’appelait chaque dimanche :
— Tu sais, tu peux toujours revenir…
Mais je ne voulais pas admettre mon échec. J’ai persisté à croire que le bonheur était possible ici, que je finirais par m’adapter.
Un matin d’hiver, j’ai reçu un message de Paul : « Maman est tombée malade. Ce serait bien que tu viennes quelques jours. » J’ai pris le premier vol pour Lyon. Retrouver l’appartement familial m’a bouleversée ; tout y était resté figé comme si j’étais partie la veille.
Au chevet de ma mère, j’ai compris combien elle avait souffert de mon absence — et combien moi aussi j’avais besoin d’elle. Nous avons parlé toute la nuit :
— Tu sais, ma fille… On croit toujours que le bonheur est ailleurs. Mais parfois il est juste là où on ne veut pas regarder.
De retour à Boston, j’ai trouvé André distant, presque froid. Un soir, il a lâché :
— Je crois qu’on s’est trompés tous les deux…
Je n’ai pas pleuré cette fois. J’étais vide.
J’ai décidé de rentrer en France pour de bon. J’ai retrouvé Paul et maman ; j’ai repris mon poste au lycée avec une gratitude nouvelle pour ces petites choses du quotidien qui m’avaient tant manqué : le pain croustillant du matin, les discussions animées au café du coin, les regards complices dans le métro.
Aujourd’hui encore, parfois la nuit, je repense à André et à ce rêve américain qui s’est transformé en cauchemar. J’ai aimé deux hommes et perdu deux fois — mais j’ai aussi appris que l’on ne peut pas fuir ce que l’on porte en soi.
Est-ce que vous aussi vous avez déjà cru qu’ailleurs serait forcément mieux ? Peut-on vraiment recommencer sa vie sans affronter ses blessures ?