L’Ombre de Son Passé : Quand l’Ex de Mon Mari Devient Mon Miroir
— Tu as encore parlé à Élodie ?
Ma voix tremblait, à peine audible, mais dans la cuisine silencieuse, chaque mot résonnait comme un coup de tonnerre. Antoine releva la tête de son bol de café, surpris par la violence contenue dans ma question. Il hésita, cherchant ses mots, mais je voyais déjà la réponse dans ses yeux. Oui, il avait parlé à Élodie. Encore.
Je m’appelle Camille. Il y a deux ans, j’aurais ri à l’idée de devenir cette femme rongée par la jalousie. J’étais solaire, indépendante, sûre de moi. Mais depuis que j’ai épousé Antoine, mon univers s’est rétréci autour d’un nom : Élodie. Son ex. Celle qui partageait autrefois sa vie, celle dont les photos traînent encore dans des cartons au grenier, celle dont la mère appelle parfois pour prendre des nouvelles « comme avant ».
Leur histoire s’est terminée il y a cinq ans, bien avant moi. Mais ici, à Nantes, tout le monde semble la connaître. Au marché, la boulangère me lance des regards compatissants ; au bureau d’Antoine, on évoque encore « l’époque d’Élodie » avec nostalgie. Même sa sœur, Claire, ne peut s’empêcher de glisser son prénom dans chaque conversation :
— Tu te souviens quand Élodie avait organisé cette fête surprise ?
J’ai beau sourire, mon cœur se serre à chaque évocation. Je me surprends à fouiller les réseaux sociaux pour comparer nos vies, nos sourires, nos corps. Elle est grande, fine, élégante ; je me sens terne à côté d’elle. Un soir, j’ai même rêvé qu’Antoine me quittait pour elle. Je me suis réveillée en larmes.
La tension est montée d’un cran le jour où j’ai trouvé un message sur le téléphone d’Antoine :
« Merci pour tes conseils. Tu as toujours su trouver les mots justes. »
Signé : Élodie.
Je n’ai pas pu m’empêcher de le confronter.
— Pourquoi tu continues à lui parler ?
Il a soupiré :
— Camille… C’est juste une amie maintenant. On a partagé beaucoup de choses, c’est normal qu’on garde contact.
Mais rien n’était normal pour moi. J’avais l’impression d’être une pièce rapportée dans ma propre vie. Je me suis mise à douter de tout : de lui, de moi, de notre amour. J’ai commencé à surveiller ses allées et venues, à questionner chaque sourire, chaque retard.
Un dimanche après-midi, alors que nous étions invités chez ses parents à La Baule, la conversation a dérapé. Sa mère a sorti un album photo :
— Oh regarde, c’est quand Antoine et Élodie sont partis en Corse !
J’ai senti mes joues brûler. Antoine a tenté de détourner le sujet, mais c’était trop tard. J’ai prétexté une migraine et je suis sortie marcher sur la plage. Le vent fouettait mon visage mais n’arrivait pas à chasser la tempête qui grondait en moi.
Pourquoi cette femme me hantait-elle autant ? Pourquoi avais-je si peur qu’il la préfère à moi ?
Le soir même, j’ai craqué devant Antoine.
— Je ne peux plus vivre comme ça… J’ai l’impression que tu ne m’as jamais choisie vraiment.
Il m’a prise dans ses bras et m’a dit doucement :
— Camille… Je t’aime toi. C’est toi que j’ai épousée. Mais tu dois arrêter de te comparer à elle.
Plus facile à dire qu’à faire.
Les semaines suivantes ont été un enfer silencieux. Je me suis repliée sur moi-même, évitant les sorties avec ses amis, refusant les invitations familiales. Ma meilleure amie, Sophie, a tenté de me raisonner :
— Tu te fais du mal toute seule… Antoine t’aime !
Mais rien n’y faisait. Je voyais Élodie partout : dans ses souvenirs, dans ses gestes tendres, dans ses silences aussi.
Un soir d’automne, alors que je rentrais du travail plus tôt que prévu, j’ai trouvé Antoine au téléphone dans le salon. Il riait doucement. Mon cœur s’est serré.
— Oui… Oui je comprends… Prends soin de toi aussi.
Quand il m’a vue sur le pas de la porte, il a blêmi.
— C’était encore elle ? ai-je murmuré.
Il n’a rien dit. J’ai claqué la porte et je suis partie marcher sous la pluie battante. Les larmes se mêlaient à l’eau sur mon visage. J’avais envie de hurler.
C’est là que j’ai croisé Élodie.
Elle était là, sous un porche, abritée du vent. Nos regards se sont croisés et elle a esquissé un sourire triste.
— Camille… Je peux te parler ?
J’ai hésité puis j’ai hoché la tête.
Nous avons marché en silence jusqu’à un café déserté par la pluie. Elle a commandé deux chocolats chauds et m’a regardée droit dans les yeux.
— Je ne veux pas te voler Antoine. Je ne veux même plus être avec lui… On a été heureux mais c’est fini depuis longtemps. C’est toi qu’il aime maintenant.
J’ai senti un poids tomber de mes épaules mais une autre douleur est restée : celle de ne pas me sentir assez bien.
Élodie a posé sa main sur la mienne :
— Tu sais… J’ai souvent été jalouse aussi. De toi. Parce que tu es drôle, spontanée… Parce qu’il parle de toi avec des étoiles dans les yeux.
Je suis rentrée chez moi ce soir-là trempée mais apaisée. Antoine m’attendait sur le canapé, inquiet.
— Je suis désolé… Je n’aurais pas dû continuer à lui parler sans t’en parler franchement. Je voulais juste garder un lien amical mais j’ai compris que ça te faisait souffrir.
Nous avons parlé toute la nuit. Pour la première fois depuis des mois, j’ai osé lui dire mes peurs sans honte ni colère. Il m’a écoutée sans juger.
Depuis ce jour-là, j’apprends à me reconstruire. À aimer celle que je vois dans le miroir — même si elle doute parfois encore.
Mais dites-moi… Est-ce qu’on peut vraiment se libérer des fantômes du passé ? Ou faut-il apprendre à vivre avec eux sans qu’ils nous dévorent ?