Entre les éclats du passé et l’espoir d’aimer : mon histoire

« Nathan, tu sais que ses parents sont divorcés, non ? »

La voix de mon ami Paul résonne encore dans ma tête, alors que je fixe le plafond de ma chambre, les yeux grands ouverts, incapable de trouver le sommeil. Je repense à cette phrase, lancée comme une évidence, comme si elle expliquait tout. Mais qu’est-ce que ça veut dire, au fond ? Que je suis condamné à ne jamais comprendre l’amour ?

Je me souviens de ce soir d’hiver à Lyon, il y a trois ans. J’avais vingt ans, le cœur encore naïf, et je croyais que l’amour, c’était simple : on se rencontre, on s’aime, on construit. Mais chez moi, rien n’était jamais simple. Mes parents se sont déchirés pendant des années avant de finalement divorcer. J’avais douze ans. Je me rappelle les cris dans le salon, les portes qui claquent, les silences lourds à table. Ma mère pleurait en cachette dans la salle de bains ; mon père s’enfermait dans son bureau. Et moi, j’essayais de ne pas faire de bruit.

« Tu comprends rien à l’amour parce que t’as jamais vu ce que c’est ! » m’a lancé un jour ma sœur Camille, en pleine dispute. Elle avait seize ans à l’époque, en pleine crise d’adolescence, mais ses mots m’ont marqué au fer rouge. Depuis, chaque fois que je commence une histoire, j’ai peur. Peur de ne pas savoir aimer. Peur de tout gâcher.

C’est avec cette angoisse que j’ai rencontré Juliette. Elle était assise au fond du café des Terreaux, un livre à la main, ses cheveux bruns en bataille. Je me suis assis à côté d’elle presque par hasard. On a parlé littérature, cinéma français, politique – elle avait des opinions tranchées sur tout. J’étais fasciné. Elle riait fort, sans gêne. J’ai cru voir en elle la promesse d’un amour différent.

Mais très vite, mes vieux démons sont revenus. Le moindre silence entre nous me semblait suspect. Si elle ne répondait pas à un message dans l’heure, je me mettais à douter : « Elle va partir, comme maman est partie… » Un soir, alors qu’on dînait chez elle, elle a posé sa fourchette et m’a regardé droit dans les yeux :

— Nathan, pourquoi tu as toujours l’air inquiet ?
— Je… Je ne sais pas. J’ai peur que tu t’en ailles.
— Mais pourquoi tu penserais ça ?
— Parce que tout le monde finit par partir.

Elle a soupiré. Je voyais bien qu’elle ne comprenait pas vraiment. Comment lui expliquer que pour moi, l’amour était synonyme d’abandon ?

Les semaines ont passé et mes angoisses ont grandi. Je devenais jaloux sans raison, possessif parfois. Un soir, elle est sortie avec ses amies sans moi ; j’ai passé la nuit à tourner en rond dans mon studio minuscule du 7e arrondissement. Quand elle est rentrée au petit matin, je l’ai accueillie froidement.

— Tu étais où ?
— Avec mes copines, je te l’ai dit !
— Tu aurais pu m’envoyer un message…
— Nathan, tu me fais confiance ou pas ?

Je n’ai pas su quoi répondre. Elle a pris son manteau et a claqué la porte derrière elle.

C’est là que tout s’est effondré. J’ai compris que je reproduisais exactement ce que j’avais vécu enfant : la méfiance, la peur de l’abandon, les disputes pour des broutilles. J’étais devenu mon père sans m’en rendre compte.

J’ai essayé de me rattraper. J’ai écrit des lettres à Juliette, des messages trop longs où je lui expliquais mes peurs, mon passé. Elle a accepté de me revoir une dernière fois au parc de la Tête d’Or.

— Nathan, je t’aime bien… mais je ne peux pas porter tes blessures à ta place.

Ses mots étaient justes mais cruels. Je l’ai regardée s’éloigner sur l’allée gravillonnée, et j’ai senti un vide immense s’installer en moi.

Les mois qui ont suivi ont été les plus difficiles de ma vie. J’ai commencé une thérapie – chose impensable dans ma famille où « on garde tout pour soi ». J’ai parlé de mes parents, de leur divorce, de la façon dont ça avait façonné ma vision de l’amour.

Un jour, ma mère est venue me voir à Lyon. On s’est assis sur un banc au bord du Rhône. Je lui ai tout raconté : Juliette, mes peurs, ma solitude.

— Tu sais Nathan… Ce n’est pas parce que ton père et moi avons échoué que tu es condamné à échouer aussi.

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai pleuré devant elle. Elle m’a serré dans ses bras comme quand j’étais petit.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je suis prêt à aimer vraiment. Mais j’apprends à ne plus avoir peur d’être abandonné. À vingt-trois ans, je comprends enfin que l’amour n’est pas une garantie contre la douleur – mais une promesse qu’on fait malgré tout.

Est-ce qu’on peut vraiment aimer sans avoir peur ? Est-ce que nos blessures familiales nous condamnent ou peuvent-elles devenir une force ? Qu’en pensez-vous ?