Quand ma fille est devenue mon ennemie : le prix d’un divorce
« Tu ne comprends rien, maman ! »
La voix de Camille résonne encore dans l’entrée, tranchante comme une lame. Je serre la poignée de la porte, les jointures blanchies par la colère et la peur. Jamais je n’aurais pensé entendre ma fille me parler ainsi. Il y a un an à peine, nous étions inséparables. Camille, mon unique enfant, ma confidente, celle pour qui j’aurais tout sacrifié. Et maintenant ? Nous voilà face à face, étrangères, blessées, chacune retranchée derrière ses rancœurs.
Tout a commencé il y a six mois, quand Camille a décidé de divorcer de Julien. Leur mariage battait de l’aile depuis des années, mais je n’avais jamais imaginé que cela finirait dans une telle tempête. Julien n’était pas parfait – loin de là – mais il aimait leur fils, Lucas, et je pensais naïvement qu’ils trouveraient un terrain d’entente. Mais Camille est venue me voir un soir d’hiver, les yeux rougis, la voix tremblante :
— Maman, je n’en peux plus. Il me détruit.
Je n’ai pas hésité une seconde. J’ai pris sa défense, j’ai appelé un avocat – Maître Lefèvre, une amie d’enfance – et j’ai soutenu Camille dans chaque démarche. J’ai assisté aux audiences au tribunal de Nanterre, j’ai gardé Lucas pendant les rendez-vous chez le juge. J’ai même écrit une lettre à la juge pour témoigner du comportement de Julien. J’étais persuadée de faire ce qu’il fallait.
Mais le divorce a été un déchirement. Julien s’est accroché à la garde partagée, Camille a exigé la résidence exclusive. Les cris ont remplacé les discussions. Les reproches ont fusé de toutes parts. J’ai vu ma fille s’endurcir, devenir méfiante, presque paranoïaque. Elle ne me parlait plus que de procédures, de droits parentaux, d’huissiers.
Un soir, alors que je préparais le dîner pour Lucas – des coquillettes au jambon comme il les aime – Camille est arrivée en trombe dans la cuisine.
— Tu as parlé à Julien ?
J’ai sursauté.
— Oui… Il m’a appelée pour prendre des nouvelles de Lucas. Il voulait savoir s’il allait mieux après sa grippe.
Le visage de Camille s’est fermé.
— Tu n’as pas à lui parler ! Tu es de MON côté ou du sien ?
J’ai senti la colère monter en moi.
— Camille, c’est le père de ton fils ! Je ne peux pas faire comme s’il n’existait pas.
Elle a claqué la porte du frigo si fort que les œufs ont failli tomber.
— Tu ne comprends rien ! Tu me trahis !
À partir de ce jour-là, tout a basculé. Camille a commencé à me tenir à l’écart. Elle m’a reproché d’être trop gentille avec Julien, de ne pas la soutenir assez. Elle m’a accusée de vouloir lui voler Lucas – parce que je proposais de le garder plus souvent pour qu’elle puisse souffler. Elle m’a même soupçonnée d’avoir donné des informations à Julien sur ses démarches judiciaires.
J’étais sidérée. Moi qui avais toujours été là pour elle… Comment pouvait-elle penser ça ?
Les semaines ont passé et la tension n’a fait qu’augmenter. Un dimanche matin, alors que je venais chercher Lucas pour l’emmener au parc Monceau, Camille m’a arrêtée sur le pas de la porte.
— Je préfère que tu ne viennes plus pour l’instant. J’ai besoin d’espace.
J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter.
— Camille… Tu ne peux pas me faire ça ! Lucas a besoin de moi…
Elle a détourné les yeux.
— C’est moi sa mère. Je décide ce qui est bon pour lui.
Je suis rentrée chez moi en larmes, incapable de comprendre comment on avait pu en arriver là. J’ai passé des nuits blanches à ressasser chaque mot, chaque geste. Est-ce que j’avais trop pris parti ? Pas assez ? Est-ce que j’aurais dû rester neutre ?
Ma sœur, Hélène, m’a dit :
— Tu as voulu trop bien faire. Mais dans un divorce, il n’y a jamais de gagnant…
Je me suis sentie trahie par ma propre fille. Mais en même temps, je voyais sa souffrance : elle était seule avec un enfant en bas âge, épuisée par les procédures et la pression sociale. Dans notre famille, on ne divorce pas – c’est ce que disait toujours ma mère. Peut-être que Camille portait aussi ce poids-là.
Un soir d’avril, alors que je rentrais du travail – je suis infirmière à l’hôpital Bichat – j’ai trouvé un message sur mon répondeur :
« Maman… Je crois que j’ai besoin de toi… »
J’ai accouru chez elle. Elle était assise par terre dans le salon, Lucas endormi sur ses genoux. Elle pleurait en silence.
— Je suis désolée… J’ai été horrible avec toi…
Je l’ai prise dans mes bras sans rien dire. Les mots étaient inutiles.
Mais depuis ce jour-là, rien n’est vraiment revenu comme avant. Il y a entre nous une distance invisible, faite de non-dits et de blessures mal refermées. Je sens que Camille ne me fait plus totalement confiance. Parfois je me demande si j’aurais dû agir autrement…
Est-ce qu’on peut aimer trop fort ? Est-ce qu’en voulant protéger nos enfants on finit par les perdre ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour défendre ceux que vous aimez ?