Le chant de l’espoir : L’histoire de Théo, 7 ans, et de sa famille brisée puis réunie

« Maman, est-ce que je vais mourir ? » Ma voix tremblait dans la chambre blanche, saturée d’odeurs d’alcool et de désinfectant. Ma mère, Camille, s’est figée. Elle a serré ma main si fort que j’ai cru qu’elle allait me briser les doigts. Mon père, Laurent, lui, regardait par la fenêtre, les épaules secouées de sanglots silencieux. J’avais sept ans et je venais d’apprendre que j’avais une leucémie.

Tout a commencé un matin de janvier à Lyon. Je me suis réveillé avec des bleus sur les jambes et une fièvre qui ne voulait pas tomber. Maman pensait à une simple grippe, mais le médecin du quartier, le docteur Morel, a tout de suite compris que c’était grave. « Il faut aller à l’hôpital, tout de suite. » Je n’ai pas compris pourquoi papa a claqué la porte si fort en sortant. Plus tard, j’ai compris qu’il ne supportait pas l’idée de me perdre.

À l’hôpital Édouard-Herriot, tout est devenu flou : les piqûres, les machines qui bipent la nuit, les infirmières qui sourient trop fort pour cacher leur peur. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est la façon dont mes parents ont changé. Maman ne me quittait plus d’une semelle, elle dormait sur un fauteuil inconfortable et oubliait de manger. Papa venait moins souvent. Il disait qu’il devait travailler plus pour payer les soins, mais je savais qu’il fuyait.

Un soir, j’ai surpris une dispute dans le couloir. « Tu n’es jamais là ! Tu laisses tout sur mes épaules ! » criait maman. Papa a répondu d’une voix lasse : « Je fais ce que je peux… Je n’arrive pas à voir Théo comme ça… » J’ai compris que ma maladie n’était pas seulement la mienne ; elle rongeait aussi ma famille.

Les semaines sont devenues des mois. J’ai perdu mes cheveux et mon sourire. Les copains de l’école ont arrêté d’envoyer des dessins. Seule ma cousine Manon venait encore me voir. Elle m’apportait des bandes dessinées et me racontait des histoires drôles pour me faire oublier la douleur.

Un jour, alors que j’étais trop faible pour sortir du lit, une bénévole est venue avec une guitare. Elle s’appelait Sophie et elle m’a proposé d’écrire une chanson sur ce que je ressentais. Au début, j’ai refusé. À quoi bon ? Mais elle a insisté : « Parfois, chanter fait moins mal que parler. » Alors j’ai essayé. J’ai écrit des mots simples : « J’ai peur la nuit / Mais maman est là / Même si papa pleure / Je veux rester là… »

La musique est devenue mon refuge. Quand je chantais doucement dans ma chambre stérile, j’oubliais les perfusions et les nausées. Maman pleurait en silence en m’écoutant. Un jour, elle a enregistré ma voix sur son téléphone et l’a envoyée à papa.

C’est là que tout a changé. Papa est revenu plus souvent. Il s’asseyait au bord du lit et me demandait de lui apprendre la chanson. Parfois il se trompait dans les paroles et on riait tous les trois pour la première fois depuis des mois.

Après un an de traitements, le médecin a annoncé que la maladie était en rémission. On a décidé d’organiser une grande réunion de famille chez mes grands-parents à Annecy pour fêter ça. Mais l’ambiance était tendue : mes parents ne se parlaient presque plus, ma tante Sylvie reprochait à maman d’avoir trop protégé Théo (« Il faut le laisser vivre ! »), mon oncle Pierre trouvait que papa n’avait pas été assez présent.

Au milieu du repas, alors que tout le monde évitait mon regard ou parlait trop fort pour masquer le malaise, j’ai pris la guitare de mon grand-père et je me suis levé sur une chaise. « J’aimerais vous chanter quelque chose… » Silence total. J’ai commencé doucement :

« J’ai eu peur la nuit / Mais vous étiez là / Même quand vous criiez / Je savais pourquoi… »

Ma voix tremblait mais je continuais :

« On n’est pas parfaits / Mais on est ensemble / Même quand on tombe / On se relève ensemble… »

Quand j’ai fini, maman pleurait à chaudes larmes dans les bras de papa. Ma cousine Manon m’a serré fort contre elle. Même mon oncle Pierre avait les yeux rouges.

Ce soir-là, quelque chose s’est réparé dans ma famille. On ne s’est pas tout dit, mais on s’est écoutés pour la première fois depuis longtemps. Ma chanson a circulé sur les réseaux sociaux après que Manon l’a postée ; des inconnus m’ont écrit pour me dire qu’ils avaient retrouvé espoir grâce à moi.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi faut-il attendre d’être au bord du gouffre pour se dire qu’on s’aime ? Est-ce qu’on saura garder cette force maintenant que la vie reprend son cours ? Qu’en pensez-vous ?