« Je veux divorcer. » – Une phrase qui a brisé seize ans de ma vie

« Je veux divorcer. »

La voix de Thomas résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, comme un couperet. J’ai lâché la cuillère dans l’évier, l’eau a éclaboussé mon pull, mais je n’ai rien senti. Camille, notre fille de douze ans, était dans sa chambre, sûrement en train d’écouter ses chansons préférées sur son téléphone. Je me suis retournée vers Thomas, espérant que son visage démentirait ses mots. Mais non. Il fixait le carrelage de la cuisine, les poings serrés.

— Tu plaisantes ? ai-je murmuré, la gorge nouée.

Il a secoué la tête, sans lever les yeux.

— Non, Claire. Je n’en peux plus. On ne fait que survivre, toi et moi. Ce n’est plus une vie.

J’ai senti mes jambes fléchir. Seize ans de mariage, balayés en une phrase. Je me suis accrochée au plan de travail pour ne pas tomber. Les souvenirs ont défilé : notre premier appartement à Nantes, les vacances à La Baule, la naissance de Camille… Tout ça pour ça ?

Le lendemain matin, j’ai appelé ma mère. Elle a répondu d’une voix fatiguée :

— Allô ?

— Maman… Thomas veut divorcer.

Un silence lourd a suivi. Puis elle a soupiré :

— Tu sais bien que dans notre famille, on ne divorce pas pour un rien. Tu dois te battre pour ton mariage, Claire.

Je n’ai rien répondu. Comment expliquer à ma mère que je n’avais plus la force de me battre seule ? Que l’amour ne suffit pas quand l’autre a déjà tourné la page ?

Les jours suivants ont été un enfer. Thomas dormait sur le canapé. Camille avait compris que quelque chose n’allait pas ; elle me lançait des regards inquiets au petit-déjeuner.

— Maman, pourquoi papa ne vient plus manger avec nous ?

Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai caressé sa joue et je lui ai menti :

— Papa est fatigué en ce moment, ma chérie.

Mais elle n’était pas dupe. Un soir, elle est venue s’asseoir à côté de moi sur le lit.

— Vous allez divorcer ?

Ses yeux brillaient de larmes retenues. J’ai senti mon cœur se briser une deuxième fois.

— On va tout faire pour que tu sois heureuse, Camille. Je te le promets.

Mais comment tenir cette promesse alors que je ne savais même pas comment j’allais payer le loyer le mois prochain ? Thomas avait déjà commencé à chercher un appartement. Il m’avait dit qu’il voulait partir avant la rentrée scolaire pour « faciliter les choses » pour Camille.

J’ai commencé à perdre pied. Au travail, je faisais des erreurs bêtes. Ma collègue Sophie m’a prise à part un midi :

— Claire, tu veux en parler ? Tu as l’air épuisée.

J’ai fondu en larmes dans ses bras. Elle m’a proposé de venir dîner chez elle un soir avec Camille. J’ai accepté, juste pour ne pas rester seule face au vide.

Ma mère continuait à m’appeler tous les soirs.

— Tu dois pardonner à Thomas. Les hommes traversent des crises… Tu sais bien que ton père aussi…

Mais je n’étais plus cette petite fille qui croyait aux contes de fées. J’avais vu mon père tromper ma mère pendant des années sans qu’elle ne dise rien « pour le bien de la famille ». Je ne voulais pas reproduire ce schéma.

Un samedi matin, Thomas est venu chercher quelques affaires. Camille s’est jetée dans ses bras en pleurant.

— Papa, reste !

Il a caressé ses cheveux et m’a lancé un regard suppliant. Mais il est parti quand même.

Après son départ, j’ai erré dans l’appartement comme une âme en peine. J’ai ouvert la boîte où je gardais nos photos de famille : Noël chez mes parents à Angers, Camille bébé dans les bras de Thomas… J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Les semaines ont passé. J’ai dû apprendre à vivre sans lui : faire les courses seule, gérer les devoirs de Camille, affronter les regards des voisins qui chuchotaient sur mon passage.

Un soir d’automne, alors que je rentrais du travail sous la pluie battante, j’ai croisé Thomas devant l’immeuble. Il venait voir Camille pour le week-end.

— Tu vas bien ? m’a-t-il demandé d’une voix hésitante.

J’ai haussé les épaules.

— On fait aller… Et toi ?

Il a baissé les yeux.

— Je suis désolé, Claire. Vraiment…

J’ai senti la colère monter en moi.

— Désolé ? Tu as tout détruit ! Tu crois que ça suffit ?

Il n’a rien répondu. Il est monté voir Camille et j’ai attendu dehors sous la pluie jusqu’à ce qu’il parte.

Petit à petit, j’ai commencé à remonter la pente. Grâce à Sophie et à quelques amies du quartier, j’ai retrouvé un peu de joie de vivre. J’ai inscrit Camille au théâtre pour qu’elle se fasse de nouveaux amis et qu’elle pense à autre chose.

Mais chaque soir, quand je ferme les yeux, j’entends encore cette phrase : « Je veux divorcer ». Elle résonne comme une condamnation.

Aujourd’hui, je me demande : comment reconstruire sa vie quand tout s’effondre ? Comment expliquer à son enfant que l’amour ne dure pas toujours ? Est-ce que j’aurais pu sauver notre couple si j’avais vu venir la tempête ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?