Entre Deux Feux : Soutenir Ma Sœur Sans Me Perdre

« Tu crois que je peux rester ici quelques semaines ? » La voix de Camille tremblait, ses yeux rougis cherchaient désespérément un refuge dans mon salon encombré de cartons. J’avais passé la journée à emballer mes affaires, prête à tourner une page de ma vie avec Paul, mais la détresse de ma sœur venait tout bouleverser.

Je n’ai pas hésité. « Bien sûr, reste autant que tu veux. » Mais au fond de moi, une angoisse sourde s’installait. Comment allais-je gérer ce chaos alors que je m’apprêtais à commencer une nouvelle vie ?

Camille venait de divorcer d’Antoine après douze ans de mariage. Il lui avait laissé l’appartement, mais aussi les dettes et un vide immense. Elle avait perdu son emploi de secrétaire médicale quelques semaines plus tôt, et la pension alimentaire suffisait à peine pour payer la cantine de sa fille, Léa. J’étais sa petite sœur, celle qui avait toujours été là pour elle, mais cette fois, l’ampleur du naufrage me dépassait.

Le lendemain matin, alors que je préparais du café, Camille s’est effondrée : « Je ne sais pas comment je vais m’en sortir, Lucie. Je n’ai plus rien. Même maman ne peut pas m’aider… »

Notre mère, Monique, retraitée avec une petite pension, avait déjà du mal à joindre les deux bouts. Paul, mon compagnon, n’était pas ravi de voir notre emménagement repoussé. « Tu ne peux pas porter tout le monde sur tes épaules », m’a-t-il soufflé un soir, la voix lasse. Mais comment abandonner Camille ?

Les semaines ont passé. Camille squattait le canapé-lit du salon, Léa dormait dans ma chambre d’amis. Je jonglais entre mon travail à la médiathèque municipale et les démarches administratives pour aider ma sœur : CAF, Pôle Emploi, dossiers d’aides sociales… Chaque soir, je rentrais épuisée, la tête pleine de chiffres et de formulaires.

Un soir d’octobre, alors que la pluie battait contre les vitres, une dispute a éclaté. Paul venait d’arriver avec deux valises : « Je ne peux plus attendre indéfiniment, Lucie. On devait emménager ensemble ! »

Camille a entendu. Elle s’est levée d’un bond : « Je dérange, c’est ça ? Je savais que je n’aurais pas dû venir… »

J’ai crié plus fort que je ne l’aurais voulu : « Ce n’est pas ça ! Mais tu ne vois pas que je me noie aussi ? »

Le silence est tombé comme une chape de plomb. Léa s’est mise à pleurer dans la chambre d’amis. J’ai eu honte de moi.

Cette nuit-là, j’ai veillé tard sur le canapé, incapable de dormir. Je repensais à notre enfance à Tours : Camille qui me défendait dans la cour de récréation, qui me consolait quand papa criait trop fort. Aujourd’hui, c’était à mon tour d’être forte. Mais jusqu’où ?

Le lendemain matin, Camille m’a tendu une tasse de café : « Je vais chercher un boulot, n’importe quoi. Je ne veux pas te faire sombrer avec moi. »

Elle a trouvé un poste de caissière au supermarché du quartier. Ce n’était pas son rêve, mais c’était un début. Peu à peu, elle a repris pied. Léa a retrouvé le sourire à l’école. Paul et moi avons finalement emménagé ensemble deux mois plus tard – dans un appartement plus petit que prévu.

Mais rien n’a jamais été comme avant. Les repas de famille étaient tendus ; maman culpabilisait de ne pas pouvoir aider davantage ; Paul gardait une rancœur sourde envers Camille ; et moi, je me sentais coupable d’avoir parfois eu envie que tout s’arrête.

Un dimanche soir, alors que nous dînions tous ensemble chez maman – un rare moment d’accalmie – Camille a levé son verre : « Merci Lucie. Sans toi… je ne sais pas où je serais aujourd’hui. »

J’ai souri, mais au fond de moi une question me rongeait : ai-je fait assez ? Ou ai-je sacrifié trop ? Peut-on vraiment sauver ceux qu’on aime sans se perdre soi-même ?

Et vous… jusqu’où iriez-vous pour votre famille ?