Au Bord du Gouffre : Mon Combat pour Mes Enfants et Ma Dignité
« Tu crois vraiment que tu vas t’en sortir comme ça, Laurence ? » La voix de Jérôme claque dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée du lave-vaisselle, mes jointures blanchissent. Les enfants sont dans leur chambre, mais leurs oreilles traînent partout. Je retiens mes larmes. Treize ans de mariage, et voilà où nous en sommes : deux étrangers qui se battent pour ne pas perdre la face devant leurs propres enfants.
Je n’ai jamais compris à quel moment tout a basculé. Peut-être le jour où j’ai réalisé que les seules fleurs que Jérôme m’offrait étaient celles du 14 février et de mon anniversaire, par automatisme, sans un mot tendre. Pourtant, je faisais tout pour lui plaire : je m’habillais avec soin, je gardais la ligne, je souriais même quand j’étais épuisée. Les autres hommes me regardaient parfois avec envie dans la rue ou au supermarché, mais lui… rien. Son regard glissait sur moi comme sur un meuble familier.
Le soir où j’ai pris la décision de divorcer, j’ai appelé Nathalie, mon amie d’enfance devenue avocate. Sa voix douce mais ferme m’a rassurée : « Tu n’es pas seule, Laurence. On va se battre pour toi et pour les enfants. »
Depuis, chaque jour est une épreuve. Jérôme refuse de quitter l’appartement à Boulogne-Billancourt. Il claque les portes, fait du bruit exprès quand il sait que je dors mal. Il a même commencé à critiquer ma façon d’élever les enfants devant eux : « Tu vois, Camille, ta mère ne sait même pas préparer des pâtes correctement ! » Camille baisse les yeux, Louis serre sa peluche contre lui. Je me retiens de hurler.
Un matin, alors que je prépare les cartables, Jérôme lance : « Tu crois que le juge va te donner la garde ? Tu travailles à mi-temps, tu ne tiendras pas financièrement. » Je sens la colère monter, mais je me force à répondre calmement : « Je préfère avoir moins d’argent et plus de temps avec eux que l’inverse. »
Les rendez-vous chez Nathalie deviennent mon seul souffle d’air. Elle m’explique les démarches, me rassure : « Le juge regarde l’intérêt des enfants avant tout. Tu as toujours été présente pour eux. » Mais la peur ne me quitte pas. Et si Jérôme mentait ? S’il disait que je suis instable ? Il a déjà commencé à semer le doute auprès de ses parents : « Laurence n’est plus la même depuis quelques mois… Elle crie tout le temps… »
Un soir, après avoir couché les enfants, je m’effondre sur le canapé. Je relis les messages de soutien de mes amies : « Tiens bon », « Tu es forte », « Ne le laisse pas te détruire ». Mais au fond de moi, je doute. Suis-je vraiment forte ? Ou juste une femme brisée qui tente de sauver ce qui peut l’être ?
La première audience approche. Je dors mal, je mange à peine. Le matin du tribunal, je croise le regard de Jérôme dans le miroir du couloir. Il sourit froidement : « Bonne chance… Tu vas en avoir besoin. »
Au tribunal de Nanterre, Nathalie me tient la main discrètement sous la table. Le juge pose des questions sur notre quotidien : « Qui s’occupe des devoirs ? Qui accompagne aux activités ? » Je réponds du mieux que je peux, la voix tremblante mais déterminée.
Jérôme ment sans ciller : « C’est moi qui fais tout depuis des mois… Laurence est souvent absente, elle sort beaucoup… » Je sens la colère me brûler la gorge. Nathalie intervient : « Madame a toujours été présente pour ses enfants. Elle a même refusé des promotions pour rester disponible. »
Le juge prend note. L’audience dure une éternité. À la sortie, Jérôme me lance à voix basse : « Tu vas regretter tout ça… »
Les semaines passent dans une tension insoutenable. Les enfants sentent tout. Camille fait des cauchemars, Louis recommence à faire pipi au lit. Je culpabilise. Est-ce ma faute ? Aurais-je dû supporter encore quelques années pour eux ?
Un soir d’orage, alors que les éclairs zèbrent le ciel parisien, Camille vient se glisser dans mon lit : « Maman, tu vas partir ? Papa a dit que tu voulais nous abandonner… » Mon cœur se brise en mille morceaux. Je la serre fort contre moi : « Jamais, ma chérie. Je me bats pour qu’on reste ensemble. »
La décision tombe enfin : garde alternée. Un soulagement mêlé d’amertume. Je voulais plus, mais au moins je ne perds pas mes enfants.
Jérôme déménage dans un deux-pièces à Levallois-Perret. Les enfants font la navette chaque semaine avec leur petit sac à dos et leur tristesse en bandoulière.
Je tente de reconstruire notre cocon à trois. Les premiers soirs sans eux sont un gouffre silencieux. Je tourne en rond dans l’appartement trop grand, j’écoute leur rire résonner dans ma mémoire.
Petit à petit, je reprends goût à la vie. Je m’inscris à un cours de théâtre amateur à la MJC du quartier. Je rencontre d’autres femmes cabossées par la vie : Sophie qui a fui un mari violent, Isabelle qui élève seule ses jumeaux autistes… On rit beaucoup, on pleure parfois.
Un jour, Camille me dit en rentrant de chez son père : « Tu sais maman, chez toi c’est plus doux… Même si papa dit que tu es compliquée. » Je souris tristement.
Je ne sais pas si j’ai gagné ou perdu cette bataille. Mais j’ai appris une chose : ma valeur ne dépend plus du regard d’un homme ni d’un jugement de tribunal.
Et vous ? Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour protéger vos enfants et votre dignité ? Est-ce qu’on peut vraiment sortir indemne d’une telle guerre ?