Chez moi, chez elle : Quand ma sœur a pris ma vie en otage

« Tu pourrais au moins me demander avant de changer la disposition du salon ! » Ma voix tremble, oscillant entre la colère et la lassitude. Camille, assise sur MON canapé, relève à peine les yeux de son ordinateur. « Je trouvais que c’était plus lumineux comme ça. »

C’est là que j’ai compris que quelque chose avait basculé. Trois mois plus tôt, j’avais ouvert la porte de mon appartement à ma sœur, fraîchement séparée de son mari. J’avais dit oui sans hésiter, parce qu’on ne laisse pas tomber sa famille, surtout pas dans ces moments-là. Mais je n’avais pas prévu que l’invitation deviendrait une occupation.

Au début, tout semblait normal. Camille pleurait beaucoup, je faisais du thé, on regardait des films ensemble. Elle dormait dans la chambre d’amis, rangeait ses affaires dans un coin. Mais très vite, ses chaussures ont envahi l’entrée, ses vêtements ont colonisé la salle de bain, et sa voix s’est imposée dans chaque pièce. Elle a commencé à recevoir des amis à elle, à organiser des apéros sans me prévenir. Mon appartement n’était plus mon refuge mais une scène où je n’étais plus que figurante.

Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Camille en train de cuisiner avec notre mère au téléphone sur haut-parleur. « Tu sais bien que Sophie ne cuisine jamais, maman ! » J’ai senti une pointe dans sa voix, un reproche déguisé. J’ai souri, mais j’ai eu envie de crier. Depuis quand mon incapacité à faire une blanquette était-elle un sujet de conversation ?

Les petites choses ont commencé à s’accumuler : le lait terminé sans être remplacé, la salle de bain occupée pendant des heures le matin, la musique trop forte alors que j’essayais de travailler. Mais surtout, ce sentiment d’être devenue étrangère chez moi. Je n’osais plus inviter mes amis, de peur de déranger Camille ou de subir ses remarques passives-agressives.

Un dimanche matin, alors que je tentais de lire tranquillement dans le salon, Camille a débarqué avec un carton rempli de ses livres. « Je pensais qu’on pourrait les mettre ici, ça ferait plus chaleureux. » Sans attendre ma réponse, elle a commencé à vider le carton sur mes étagères. J’ai senti la colère monter : « Tu pourrais demander avant de tout changer ! » Elle m’a regardée comme si j’étais folle : « Tu exagères, Sophie. C’est juste quelques livres… »

Mais ce n’était pas juste quelques livres. C’était mon espace, mon équilibre fragile qui s’effritait chaque jour un peu plus. J’ai commencé à éviter l’appartement, à rentrer tard, à m’inventer des rendez-vous pour ne pas avoir à affronter cette tension permanente.

Un soir d’orage, alors que je rentrais trempée et épuisée, j’ai trouvé Camille installée dans MA chambre, en train d’essayer mes vêtements devant le miroir. « Je n’avais plus rien à me mettre pour mon entretien demain… » J’ai explosé : « Tu te rends compte que tu prends toute la place ? Que tu ne respectes rien ? »

Elle a éclaté en sanglots : « Tu ne comprends pas ce que je vis ! J’ai tout perdu… »

J’ai eu honte de ma colère. Mais aussi honte de ne pas avoir su dire stop plus tôt.

Les jours suivants ont été tendus. On s’évitait dans le couloir, on échangeait à peine quelques mots polis. J’ai parlé à notre mère au téléphone : « Tu sais, Camille souffre beaucoup… Essaie d’être patiente. » Toujours la même rengaine : sois forte pour ta sœur.

Mais qui était forte pour moi ? Qui voyait que je m’effaçais peu à peu ?

Un soir, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai préparé deux tasses de thé et je suis allée frapper à la porte de la chambre d’amis.

— Camille, il faut qu’on parle.

Elle a levé les yeux vers moi, fatiguée elle aussi.

— Je t’aime, tu es ma sœur. Mais je ne peux plus vivre comme ça. J’ai besoin de retrouver mon espace…

Elle a baissé la tête.

— Je comprends… Je vais chercher autre chose.

Le soulagement s’est mêlé à la culpabilité. Avais-je le droit de choisir mon bien-être au détriment du sien ?

Camille est partie deux semaines plus tard. L’appartement m’a semblé vide et silencieux. J’ai remis mes livres en place, rangé mes affaires… Mais il restait une trace d’elle partout.

Aujourd’hui encore, je me demande : jusqu’où doit-on aller par amour pour sa famille ? Où placer la limite entre générosité et sacrifice de soi ? Est-ce égoïste de vouloir préserver son espace vital ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?