Le choix de Claire : Entre devoir et compassion
— « Claire, tu fais quoi ? Tu vas pas encore te mêler de ces histoires d’animaux ! »
La voix de mon collègue, Thomas, résonne dans l’habitacle de la voiture de patrouille. Il soupire, agacé, alors que je lis sur l’écran du central : « Animal coincé dans une clôture, 12 rue des Marronniers. »
Je serre le volant. Je sais ce qu’il pense : une policière devrait s’occuper de vrais problèmes, pas d’un hérisson ou d’un chat perdu. Mais moi, je ne peux pas m’empêcher d’y aller. Peut-être parce que, petite, j’ai vu mon père écraser un pigeon blessé sous prétexte qu’il fallait « abrèger ses souffrances ». Peut-être parce que j’ai toujours cru que la compassion ne s’arrête pas aux humains.
— « On y va, Thomas. C’est notre secteur. »
Il hausse les épaules, résigné. Nous roulons en silence à travers les rues grises de Lyon. Je sens son regard sur moi, mi-moqueur, mi-inquiet. Il ne comprend pas pourquoi je m’attache à ces détails. Moi non plus, parfois.
Arrivés devant la maison, une femme nous attend, les bras croisés sur son tablier fleuri. Elle s’appelle Madame Lefèvre. Son visage est tendu.
— « Il est là, derrière… Il pousse des cris terribles ! »
Dans le jardin, un renard roux est coincé entre deux barreaux de la vieille clôture en fer forgé. Il se débat, affolé, les yeux brillants de peur et de douleur.
Thomas recule d’un pas.
— « On n’est pas la SPA, Claire… »
Je l’ignore. Je m’accroupis doucement près de l’animal.
— « Chut… Calme-toi… »
Je parle tout bas, comme à un enfant blessé. Le renard s’apaise un peu. Je vois qu’il saigne à la patte arrière.
Madame Lefèvre gémit :
— « Il va mourir, non ? »
Je secoue la tête.
— « Pas si on l’aide. »
Je demande à Thomas d’appeler un vétérinaire d’urgence. Il grogne mais obéit. Je retire ma veste et la pose sur le renard pour le calmer. Je sens son cœur battre à toute vitesse sous mes mains tremblantes.
Le vétérinaire arrive enfin. Ensemble, nous desserrons les barreaux et libérons l’animal. Il gémit mais ne mord pas. Je sens une larme couler sur ma joue quand il disparaît dans les buissons du jardin.
Madame Lefèvre me serre la main.
— « Merci… Vous avez du cœur, vous… »
Sur le chemin du retour, Thomas me lance :
— « Tu sais qu’on va se faire engueuler au commissariat ? On a perdu une heure pour un renard… »
Je regarde par la fenêtre les immeubles défiler.
— « Peut-être… Mais on a fait ce qu’il fallait. »
Le soir, chez moi, je retrouve ma mère assise devant la télé. Elle ne me regarde même pas.
— « Encore en retard… Tu pourrais penser à ta famille au lieu de courir après des bêtes ! »
Je ravale mes mots. Depuis la mort de mon père il y a deux ans, elle me reproche tout : mes horaires, mon célibat, mon métier trop dangereux. Elle ne comprend pas pourquoi je m’accroche à cette vie qui ne me laisse ni répit ni tendresse.
Je monte dans ma chambre et m’effondre sur le lit. Je repense au regard du renard, à la main chaude de Madame Lefèvre sur la mienne. Je pense aussi à Thomas, à ses sarcasmes qui cachent peut-être une peur plus profonde : celle de ressentir trop fort.
Le lendemain au commissariat, le chef me convoque.
— « Claire, tu crois vraiment que c’est notre rôle ? On manque déjà d’effectifs pour les vraies urgences ! »
Je baisse les yeux mais je sens la colère monter.
— « Si on n’aide pas ceux qui souffrent, même les plus petits… À quoi sert notre uniforme ? »
Il soupire longuement.
— « Tu as bon cœur, Claire. Mais le monde n’est pas fait que de bons sentiments… »
Je sors du bureau en serrant les dents. Dans le couloir, Thomas m’attend.
— « T’as vu ? On parle déjà de toi sur les réseaux… La “policière au grand cœur” ! »
Il sourit enfin, un vrai sourire cette fois.
Le soir même, je reçois un message de Madame Lefèvre : « Le renard est revenu dans mon jardin. Il boite mais il va bien. Merci encore. »
Je relis ce message plusieurs fois. Je pense à mon père qui disait toujours : « La vraie force, c’est d’oser être tendre dans un monde dur. »
Parfois je doute. Est-ce que j’ai raison de croire que chaque geste compte ? Est-ce que la compassion a encore sa place dans notre société pressée ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?