Mon fils est revenu vivre chez moi après son divorce : entre chaos et espoir
— Tu pourrais au moins ranger tes chaussures, Thomas !
Ma voix tremble, plus de fatigue que de colère. Il est 22h, la lumière blafarde de la cuisine éclaire les cartons entassés dans le couloir. Thomas hausse les épaules, l’air absent, et s’enfonce dans le canapé, son téléphone vissé à la main. Je retiens un soupir. Depuis qu’il est revenu vivre ici, mon appartement n’est plus le même. Ni moi, d’ailleurs.
Je m’appelle Claire. J’ai 58 ans, et j’ai élevé Thomas seule depuis que son père nous a quittés pour refaire sa vie à Marseille. J’ai tout donné pour mon fils : mes nuits, mes rêves, mes économies. Il était mon soleil, ma raison de tenir bon dans notre petit deux-pièces du 12ème arrondissement. Il me disait souvent : « Maman, un jour je t’emmènerai loin d’ici, tu verras. »
Il a tenu parole, un temps. Après ses études à la Sorbonne, il a trouvé un bon poste dans une start-up du digital, puis il a rencontré Camille. Une fille bien, issue d’une famille bourgeoise du 16ème. Leur mariage fut somptueux, tout le monde disait qu’ils formaient un couple parfait. Mais la perfection n’existe pas.
Un soir d’hiver, il a débarqué chez moi avec deux valises et des cernes jusqu’aux joues. « C’est fini avec Camille », a-t-il lâché d’une voix blanche. Je l’ai pris dans mes bras comme quand il était petit. Mais je savais déjà que rien ne serait plus comme avant.
Depuis trois mois, il occupe sa vieille chambre d’ado, transformée en débarras depuis son départ. Il travaille à distance sur son ordinateur, sort rarement, mange peu. Parfois, je l’entends pleurer la nuit. Parfois, il crie dans son sommeil.
— Tu veux en parler ?
— Non maman, laisse-moi tranquille.
Le silence s’installe entre nous comme une troisième personne dans l’appartement. Je fais de mon mieux pour ne pas l’étouffer, mais je m’inquiète. Il a trente ans et toute la vie devant lui… mais il semble avoir tout perdu.
Les voisins commencent à jaser : « Alors, Thomas est revenu ? Il n’a pas trouvé mieux ? » Je souris poliment, mais leurs mots me transpercent. J’ai honte parfois. Honte de ce retour en arrière, honte de ne pas avoir su lui donner une vie meilleure.
Un soir, alors que je range la vaisselle, il s’approche timidement.
— Maman… tu crois que je suis un raté ?
Je m’arrête net.
— Jamais je ne penserai ça de toi ! Tu traverses une mauvaise passe, c’est tout.
Il baisse les yeux.
— Camille m’a dit que j’étais incapable d’aimer… Que je ne savais pas ce que je voulais.
Je sens la colère monter en moi.
— Elle ne te connaît pas vraiment alors !
Mais au fond de moi, je doute aussi. Ai-je trop couvé mon fils ? L’ai-je empêché de devenir un homme ?
Les jours passent et la tension monte. Un matin, je découvre qu’il a vidé le frigo sans rien dire. Je craque.
— Thomas ! Tu ne peux pas continuer comme ça ! Tu dois te reprendre !
Il explose :
— Tu crois que c’est facile ?! J’ai tout perdu ! Mon boulot ne me passionne plus, Camille m’a humilié devant ses amis… Et toi tu veux juste que je range mes chaussures !
Je fonds en larmes.
— Je veux juste que tu sois heureux…
Le soir même, il rentre tard. Je l’attends dans le salon, le cœur battant.
— Maman… Je suis désolé pour tout à l’heure. J’ai rencontré quelqu’un au parc aujourd’hui. Elle s’appelle Sophie. On a parlé longtemps… Ça m’a fait du bien.
Je souris à travers mes larmes.
— Tu vois… La vie continue.
Petit à petit, Thomas reprend goût à la vie. Il sort plus souvent, retrouve des amis d’enfance. Il aide même une voisine âgée à porter ses courses. L’appartement reste en désordre, mais je m’en fiche désormais.
Un dimanche matin, alors que nous prenons le petit-déjeuner ensemble pour la première fois depuis des mois, il me regarde droit dans les yeux.
— Merci maman de ne jamais m’avoir lâché.
Je lui serre la main fort.
— On se relève toujours ensemble, toi et moi.
Mais parfois, la nuit venue, je me demande : ai-je vraiment su l’aider à grandir ou ai-je simplement voulu le protéger du monde ? Peut-on aimer trop fort son enfant ? Qu’en pensez-vous ?