Quatre Murs, Un Secret : Notre Vie à l’Étroit

— Tu ne vas pas me dire que tu as encore oublié de sortir la poubelle, Julien !

La voix de Camille résonne dans le studio, tranchante comme une lame. Je sursaute, la main encore pleine de miettes de pain. Louis, notre fils de quatre ans, joue dans le coin cuisine avec ses petites voitures, ignorant la tension qui s’accumule comme la poussière sous le canapé-lit.

Je soupire. « Camille, je viens de rentrer du boulot… »

Mais elle ne m’écoute déjà plus. Elle tourne en rond dans les deux mètres carrés qui séparent le lit du micro-coin salon, ramassant nerveusement des jouets, pliant une serviette, jetant un regard noir à la vaisselle sale. Depuis qu’on vit ici, tout est prétexte à dispute. Mais ce soir, c’est pire. Ce soir, Françoise arrive.

Ma belle-mère. La tornade. Celle qui a toujours une opinion sur tout, surtout sur moi. Elle a appelé hier : « Camille, ma chérie, j’ai des soucis avec mon propriétaire. Je peux venir quelques jours ? » Quelques jours… On sait tous ce que ça veut dire.

Louis l’adore. Moi, je redoute déjà les remarques sur ma façon de plier les draps ou de couper le fromage. Camille est tendue comme un fil prêt à casser. On n’a pas d’intimité, pas d’espace pour respirer. Et maintenant, on va devoir partager notre unique pièce avec une invitée imprévue.

La sonnette retentit. Louis bondit : « Mamie ! »

Françoise entre en fanfare, valise à la main, parfum entêtant. Elle embrasse Louis, serre Camille contre elle et me lance un « Bonjour Julien » poli mais distant. Elle pose sa valise… sur mon oreiller.

— Je savais que ce serait petit, mais à ce point-là ! s’exclame-t-elle en balayant la pièce du regard.

Camille tente de sourire : « On fait comme on peut… »

La soirée s’étire dans une ambiance électrique. Françoise critique la disposition des meubles (« Tu devrais mettre le lit là-bas ! »), s’étonne du manque de place (« Où rangez-vous vos manteaux ? »), et finit par s’installer devant la télé avec Louis.

Je me réfugie sur le palier pour fumer une cigarette. Je pense à notre vie d’avant, quand on rêvait d’un trois-pièces lumineux. Mais avec nos salaires — moi caissier à Franprix, Camille assistante maternelle — c’est déjà un miracle d’avoir ce studio à Montreuil.

La nuit tombe. On déplie le canapé-lit pour Françoise. Camille et moi dormirons sur le matelas gonflable avec Louis entre nous. Je sens son petit corps chaud contre moi, mais je n’arrive pas à fermer l’œil. J’entends Françoise ronfler doucement. Camille pleure en silence.

Le lendemain matin, la tension monte d’un cran.

— Tu ne peux pas laisser Louis regarder la télé pendant que tu prépares le petit-déj ?
— Maman, laisse-moi faire !
— Je dis ça pour t’aider…

Je sens Camille vaciller. Elle explose : « Si tu es venue pour nous juger, tu peux repartir ! »

Silence glacial. Louis se met à pleurer. Je prends sur moi : « On ne va pas se disputer devant lui… »

Mais le mal est fait. Françoise s’enferme dans la salle de bain — notre seule pièce fermée — pendant une heure. Camille s’effondre sur le lit.

Les jours passent. La promiscuité nous ronge. Les repas sont des champs de bataille : qui a fini le beurre ? Qui a pris mon chargeur ? Les nuits sont courtes ; les disputes longues.

Un soir, alors que Camille et sa mère se disputent encore pour une histoire de lessive, Louis vient se blottir contre moi : « Papa, pourquoi mamie crie tout le temps ? »

Je n’ai pas de réponse.

Un dimanche matin, alors que Françoise prépare son café — elle a fini par imposer ses horaires — je surprends une conversation entre elle et Camille.

— Tu ne peux pas continuer comme ça… Tu es malheureuse ici.
— On n’a pas le choix, maman ! On n’a pas les moyens d’aller ailleurs.
— Il y a peut-être d’autres solutions…

Je comprends alors que Françoise veut que Camille et Louis viennent vivre chez elle, sans moi. Mon cœur se serre. Est-ce ça qu’elle manigance depuis le début ?

Le soir même, j’affronte Camille :
— Tu veux partir avec ta mère ?
— Quoi ? Mais non… C’est juste qu’elle s’inquiète pour nous.
— Pour vous… ou contre moi ?

Camille fond en larmes : « Je n’en peux plus Julien ! J’étouffe ici… On n’a plus de vie de couple… »

Je me sens coupable et impuissant. Je l’aime mais je n’ai rien à lui offrir d’autre que ces quatre murs étouffants.

Quelques jours plus tard, Françoise annonce qu’elle a trouvé un logement temporaire chez une amie et qu’elle partira bientôt. Le soulagement est palpable mais la blessure reste.

Camille et moi restons silencieux longtemps après son départ. On se regarde enfin dans les yeux.

— Tu crois qu’on va tenir encore longtemps comme ça ?

Je n’ai pas la réponse. Mais je sais que beaucoup de familles vivent comme nous, coincées dans des logements trop petits, étouffées par la promiscuité et les non-dits.

Est-ce qu’on peut vraiment être heureux quand on n’a même pas la place de respirer ? Est-ce que l’amour suffit à tenir quand tout autour s’effondre ? Qu’en pensez-vous ?