J’ai Ouvert Ma Porte à Mon Ex-Belle-Fille : Mon Fils Est Devenu Un Étranger
« Tu préfères vraiment Camille à moi ? » La voix d’Antoine résonne encore dans le couloir, sèche, étrangère. Je serre la poignée de la porte, les mains moites. Ce n’est pas la première fois qu’il me lance ce reproche, mais ce soir, il y a dans son regard une lueur que je ne lui connaissais pas. Une colère froide, presque du mépris.
Je m’appelle Françoise. J’ai soixante ans, et j’ai élevé mon fils seule, dans notre petit appartement de Tours, depuis que son père est parti. Antoine n’avait que six ans. Je me souviens encore du claquement sec de la porte d’entrée ce soir-là, du silence qui a suivi. Son père disait qu’il ne supportait plus la routine, qu’il voulait « vivre », comme si élever un enfant n’était pas vivre. J’ai tout fait pour qu’Antoine ne manque de rien : les goûters faits maison, les devoirs surveillés, les nuits blanches à attendre qu’il rentre de ses premières soirées.
Antoine a grandi vite. Trop vite, peut-être. À vingt-deux ans, il a épousé Camille, une fille douce et discrète rencontrée à la fac de droit. Je me suis attachée à elle comme à une fille que je n’ai jamais eue. Mais la vie n’est pas un conte de fées : après cinq ans de mariage, ils ont divorcé. Antoine disait qu’ils n’étaient « plus sur la même longueur d’onde », qu’il voulait voyager, changer de métier, s’éloigner de la monotonie. J’ai entendu dans ses mots l’écho douloureux de son père.
Quelques mois après leur séparation, Camille m’a appelée en pleurs. Elle venait de perdre son emploi dans une petite librairie du centre-ville et ne pouvait plus payer son loyer. Sa famille est loin, à Lille, et elle n’a jamais eu beaucoup d’amis ici. Sans réfléchir, j’ai proposé qu’elle vienne s’installer chez moi le temps de se retourner. C’était naturel pour moi : je ne pouvais pas laisser une jeune femme que j’aimais comme ma propre fille dormir dans la rue.
Au début, tout s’est bien passé. Camille m’aidait à la maison, faisait les courses, cuisinait parfois des plats du Nord qui embaumaient l’appartement. Nous regardions des films ensemble le soir, nous riions des souvenirs d’Antoine adolescent. Mais très vite, Antoine a commencé à venir moins souvent. Il passait en coup de vent, déposait un tupperware ou un bouquet de fleurs pour la fête des mères, puis repartait sans un mot pour Camille.
Un dimanche midi, alors que je dressais la table pour trois comme d’habitude, il a refusé de s’asseoir. « Je ne comprends pas pourquoi tu fais ça, maman. Tu te rends compte que c’est mon ex-femme ? » J’ai tenté de lui expliquer que Camille n’avait personne ici, qu’elle avait besoin d’aide. Il a haussé les épaules : « Tu fais toujours passer les autres avant moi. »
Les semaines ont passé et le fossé s’est creusé. Antoine ne répondait plus à mes messages. J’ai appris par hasard qu’il avait démissionné de son travail à la mairie pour partir en Bretagne avec une nouvelle compagne. Il ne m’a rien dit. J’ai eu l’impression d’être trahie deux fois : par mon fils qui s’éloignait et par la vie qui me rappelait cruellement mes échecs.
Camille a retrouvé un emploi dans une médiathèque municipale. Elle a commencé à sortir avec un collègue et m’a annoncé qu’elle allait bientôt déménager chez lui. Le soir de son départ, elle m’a serrée dans ses bras en pleurant : « Merci pour tout, Françoise. Vous avez été plus qu’une belle-mère pour moi… »
Je me suis retrouvée seule dans cet appartement trop grand, avec le silence pour seule compagnie. J’ai tenté d’appeler Antoine plusieurs fois ; il ne répondait pas ou me parlait froidement. Un jour, il m’a lancé au téléphone : « Peut-être que tu comprendras un jour ce que ça fait d’être remplacé… »
Je repense souvent à cette phrase. Ai-je vraiment remplacé mon fils ? Ou bien ai-je simplement voulu réparer ce que la vie avait brisé ? Est-ce égoïste d’aider quelqu’un qui souffre quand on sait que cela peut blesser ceux qu’on aime le plus ?
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je fait le bon choix ? Est-ce que l’amour maternel doit avoir des limites ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?