Un week-end chez Mamie : Quand Camille a supplié de rentrer à la maison

« Maman, je veux rentrer à la maison, s’il te plaît… »

La voix de Camille, tremblante au bout du fil, m’a transpercée comme une lame glacée. Il était à peine vingt-deux heures ce samedi soir, et j’avais imaginé que mes deux filles seraient déjà endormies dans la chambre d’amis de leur grand-mère, bercées par le parfum de la tarte aux pommes et le ronronnement du vieux chat, Moustache. Mais non. Camille pleurait, et derrière elle, j’entendais la voix douce mais inquiète de ma mère : « Elle ne se calme pas, ma chérie. Je crois qu’elle a vraiment besoin de toi… »

Je me suis tournée vers Paul, mon mari, qui feuilletait distraitement un magazine sur le canapé. « C’est Camille. Elle veut rentrer. » Il a levé les yeux au ciel, fatigué : « Mais enfin, c’est la première fois qu’on a un week-end rien que pour nous depuis des mois ! Elle doit juste être fatiguée… Laisse-la se rendormir. »

Mais je connaissais ce ton dans la voix de Camille. Ce n’était pas un simple caprice. J’ai raccroché avec la promesse de rappeler dans dix minutes, puis je me suis effondrée sur le lit, envahie par la culpabilité. Avions-nous eu tort de les envoyer chez Mamie ? Avais-je manqué un signe d’angoisse chez ma fille ?

Le week-end avait pourtant bien commencé. Vendredi soir, nous avions déposé Camille et sa grande sœur Lucie devant la maison de ma mère à Tours. Les filles avaient sauté hors de la voiture, excitées à l’idée de dormir dans le grand lit à baldaquin et de manger des crêpes au petit-déjeuner. Ma mère avait promis une balade au marché et une séance cinéma maison avec des vieux dessins animés français. Paul et moi avions prévu une soirée tranquille, un dîner en amoureux dans un petit restaurant du centre-ville.

Mais dès le samedi matin, les premiers messages sont arrivés :

« Maman, Lucie veut pas me laisser choisir le dessin animé ! »
« Mamie a mis trop de confiture sur mes tartines… »

J’ai ri en lisant ces SMS, pensant que tout cela faisait partie du jeu. Mais le soir venu, l’appel paniqué de Camille a tout changé.

Je me suis souvenue de mon propre premier week-end loin de mes parents, chez ma tante à Nantes. J’avais pleuré toute la nuit, persuadée qu’ils m’avaient abandonnée. Pourquoi avais-je oublié ce sentiment d’abandon chez les enfants ?

Paul est resté ferme : « Si on cède maintenant, elle ne voudra plus jamais dormir ailleurs. Il faut qu’elle apprenne à gérer ses émotions. » Mais mon cœur de mère me hurlait de prendre la voiture et d’aller chercher ma fille.

J’ai rappelé ma mère. Elle a essayé de me rassurer : « Lucie va très bien, elle s’amuse avec son puzzle. Mais Camille ne veut rien entendre. Elle dit qu’elle a mal au ventre et qu’elle veut sa maman… »

J’ai demandé à parler à Camille. Sa voix était toute petite :

— Maman… tu viens me chercher ?
— Ma chérie, tu es en sécurité avec Mamie. Je t’aime très fort. Tu veux que je te chante notre chanson ?
— Non… Je veux rentrer…

J’ai senti les larmes monter. J’ai raccroché et j’ai fondu en larmes dans les bras de Paul.

« On fait quoi ? » ai-je murmuré.

Il a soupiré longuement : « On va la chercher. Je crois qu’on n’a pas le choix… »

Nous avons traversé la ville sous une pluie fine, les phares dessinant des ombres fantomatiques sur les murs des maisons endormies. En arrivant chez ma mère, Camille s’est jetée dans mes bras en sanglotant : « Je croyais que tu ne viendrais pas… »

Ma mère avait l’air épuisée et un peu vexée : « Je ne comprends pas… Lucie est ravie d’être ici ! »

Lucie nous a lancé un regard noir : « C’est toujours Camille qui gâche tout… Moi je voulais rester ! »

Sur le chemin du retour, le silence était lourd dans la voiture. Camille s’est endormie contre moi, mais Lucie boudait à l’arrière.

Le lendemain matin, autour du petit-déjeuner, j’ai tenté d’ouvrir le dialogue.

— Camille, pourquoi tu voulais tant rentrer ?
— J’avais peur que tu m’oublies…

Cette phrase m’a brisé le cœur. J’ai compris alors que derrière son angoisse se cachait une peur profonde de l’abandon que je n’avais pas su voir.

Paul a pris Lucie à part pour lui expliquer que chacun avait le droit d’avoir ses fragilités et que ce n’était pas « gâcher » le week-end que d’écouter les besoins de sa sœur.

Ce week-end-là m’a appris que chaque enfant vit différemment la séparation et que vouloir « forcer » l’autonomie peut parfois faire plus de mal que de bien. J’ai aussi compris que les besoins émotionnels de mes filles ne sont pas interchangeables.

Depuis ce jour, nous avons instauré un rituel avant chaque séparation : on parle ensemble des peurs éventuelles, on rassure, on promet de s’appeler si besoin. Et surtout, on n’impose plus jamais un séjour sans l’accord enthousiaste des deux sœurs.

Parfois je repense à cette nuit-là et je me demande : ai-je bien fait d’écouter mon instinct plutôt que la raison ? Et vous, comment auriez-vous réagi à ma place ?