« Tu ne fais rien de tes journées ! » – Mon combat invisible de mère au foyer
« Tu ne fais rien de tes journées ! »
La phrase claque dans l’air comme une gifle. Je suis debout dans la cuisine, les mains plongées dans l’eau savonneuse, le dos douloureux après avoir bercé Camille pendant une heure pour sa sieste. Thomas, mon mari, vient de rentrer du travail. Il pose sa sacoche, regarde autour de lui — le salon en désordre, les jouets éparpillés, le linge qui sèche sur la chaise — et soupire. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse profonde, un sentiment d’injustice qui me serre la gorge.
« Tu crois vraiment que je ne fais rien ? » Ma voix tremble. Il hausse les épaules, fatigué : « Je veux juste comprendre pourquoi c’est toujours le bazar. Je bosse toute la journée, et ici… »
Je voudrais hurler. Mais je me tais. Je me tais parce que je suis épuisée, parce que j’ai peur de passer pour une mauvaise mère ou une mauvaise épouse. Pourtant, mes journées sont longues, rythmées par les pleurs, les couches à changer, les repas à préparer, les lessives à lancer. Je n’ai pas eu une minute pour moi depuis des semaines.
Le matin, tout commence avec le cri de Camille à 6h12 précises. Je me lève sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Paul, notre aîné de quatre ans. Je change la couche, prépare un biberon, câline ma fille qui refuse de se rendormir. Paul se réveille à son tour, réclame son chocolat chaud et son dessin animé préféré. J’essaie de jongler entre les deux, tout en lançant une machine à laver et en ramassant les miettes du petit-déjeuner.
À 9h, je sors au parc avec la poussette. Il fait froid ce matin-là ; le vent me fouette le visage. Paul court partout, Camille pleure dès que je m’arrête. Je croise d’autres mamans — certaines sourient, d’autres ont le même regard fatigué que moi. On échange quelques mots sur la météo ou les dents qui poussent. Mais au fond, je me sens seule.
De retour à la maison, c’est déjà l’heure du déjeuner. Paul refuse de manger ses légumes, Camille régurgite son lait sur mon pull propre. Je nettoie tout en essayant de calmer les cris. Je rêve d’un café chaud, mais il refroidit sur la table pendant que j’endors Camille dans mes bras.
L’après-midi s’étire comme un vieux chewing-gum collé sous une chaussure. Paul veut dessiner puis faire un puzzle puis jouer aux voitures. Camille se réveille toutes les vingt minutes en hurlant. Je n’ai pas le temps de prendre une douche ni même de m’asseoir cinq minutes.
Quand Thomas rentre enfin, il trouve une maison en désordre et une femme au bord des larmes. Mais il ne voit pas tout ce que j’ai fait : les couches changées, les disputes évitées entre frère et sœur, les repas préparés avec amour malgré la fatigue.
Un soir, après une énième remarque sur le « bazar », j’éclate :
— Tu crois que je passe mes journées à regarder la télé ? Tu crois que c’est facile ?
Il me regarde, surpris par ma colère. Je sens mes yeux brûler.
— J’aimerais juste… que tu reconnaisses ce que je fais. Que tu comprennes que ce n’est pas du temps libre. Que c’est un travail sans pause, sans merci.
Il se tait. Le silence est lourd entre nous.
Les jours passent et rien ne change vraiment. Je commence à douter de moi-même. Peut-être qu’il a raison ? Peut-être que je devrais faire plus ? Je culpabilise quand je m’accorde dix minutes pour lire un article ou scroller sur mon téléphone.
Un dimanche matin, ma belle-mère débarque à l’improviste. Elle regarde autour d’elle et lance :
— À mon époque, on tenait la maison impeccable avec trois enfants !
Je ravale mes larmes et souris poliment. Mais à l’intérieur, je me sens minuscule.
Un jour pourtant, tout bascule. Camille tombe malade — une bronchiolite sévère. Je passe trois nuits blanches à surveiller sa respiration, à courir aux urgences pédiatriques de l’hôpital Necker. Thomas m’accompagne la première nuit mais doit retourner travailler ensuite.
Je découvre alors une force insoupçonnée en moi : celle de toutes les mères qui veillent sans relâche, qui tiennent debout malgré la fatigue et l’angoisse. Quand Camille va mieux, Thomas me prend dans ses bras et murmure :
— Je ne savais pas… Je ne voyais pas tout ça.
Je pleure enfin — de soulagement et de tristesse mêlés.
Aujourd’hui encore, il y a des jours où je me sens invisible dans ma propre maison. Mais j’ai compris que mon combat n’était pas vain : il est celui de milliers de femmes en France qui portent leur famille à bout de bras sans reconnaissance ni salaire.
Est-ce qu’on finira un jour par voir le travail invisible des mères ? Est-ce qu’on apprendra à se respecter davantage dans nos familles ? Qu’en pensez-vous ?