« Toi seul peux les maîtriser, » dit le fils à son père
Au cœur d’un quartier animé de la banlieue parisienne, il y avait un parc qui était à la fois un sanctuaire et un champ de bataille pour les parents. C’était un endroit où les enfants pouvaient libérer leur énergie débordante, et où les parents pouvaient momentanément se détendre, ou du moins essayer. Pour Pierre, père célibataire de jumeaux, le parc était un lieu à la fois redouté et nécessaire.
Chaque samedi matin, Pierre emmenait ses jumeaux de sept ans, Jules et Maxime, au parc. Les garçons étaient une force de la nature, avec des niveaux d’énergie qui semblaient défier les lois de la physique. Ils couraient plus vite que le vent, grimpaient plus haut que ce qui semblait sûr, et criaient plus fort que tous les autres enfants autour. Leurs pitreries attiraient souvent l’attention des autres parents, certains amusés, d’autres moins.
« Papa, regarde-moi ! » criait Jules du haut du toboggan, tandis que Maxime était à mi-chemin d’un arbre, souriant comme un chat du Cheshire. Le cœur de Pierre battait la chamade alors qu’il essayait de garder un œil sur les deux en même temps. C’était comme essayer de jongler avec des torches enflammées tout en faisant du monocycle.
Les autres parents du parc avaient appris à reconnaître Pierre et ses garçons. Certains offraient des sourires sympathiques, tandis que d’autres murmuraient entre eux, lançant des regards critiques dans sa direction. Pierre s’y était habitué, mais cela ne rendait pas la tâche plus facile.
Un samedi en particulier, les choses prirent une tournure pour le pire. Le parc était exceptionnellement bondé, rempli de familles profitant d’une chaude journée de printemps. Jules et Maxime étaient en grande forme, leurs niveaux d’énergie semblant doublés par la présence de tant de potentiels camarades de jeu.
Alors que Pierre essayait de les suivre, il remarqua un groupe de jeunes enfants jouant tranquillement avec leurs jouets près du bac à sable. Il regarda avec horreur Jules et Maxime foncer vers eux, inconscients du chaos qu’ils allaient provoquer.
« Les garçons, ralentissez ! » cria Pierre, mais c’était trop tard. Les jumeaux s’écrasèrent dans le groupe comme une paire de mini-tornades, envoyant des jouets voler et des enfants se disperser dans toutes les directions. Des cris éclatèrent parmi les enfants surpris alors que leurs parents se précipitaient pour les réconforter.
Le visage de Pierre s’empourpra de honte alors qu’il se précipitait pour s’excuser. « Je suis vraiment désolé », répétait-il en essayant de ramasser les jouets éparpillés et d’apaiser les enfants bouleversés. Les autres parents étaient polis mais clairement agacés, leurs yeux exprimant un mélange de sympathie et d’irritation.
Après ce qui sembla une éternité, Pierre parvint à extraire ses garçons de la situation et les conduisit dans un coin plus calme du parc. Il s’agenouilla devant eux, essayant de garder sa voix calme malgré sa frustration.
« Les gars, vous devez faire plus attention », dit-il fermement. « Vous ne pouvez pas simplement foncer dans les gens comme ça. »
Jules et Maxime le regardèrent avec de grands yeux, leur excitation précédente remplacée par la culpabilité. « On est désolés, papa », murmura Maxime en donnant un coup de pied dans la terre avec sa chaussure.
Pierre soupira, ébouriffant affectueusement leurs cheveux malgré son exaspération. « Je sais que vous l’êtes. Essayez juste de vous en souvenir la prochaine fois. »
En quittant le parc ce jour-là, Pierre ne pouvait se défaire du sentiment d’inadéquation qui s’était installé en lui. Il aimait ses garçons plus que tout au monde, mais les gérer lui semblait parfois être un défi insurmontable. Il se demandait s’il en faisait assez, s’il était trop indulgent ou trop strict.
Ce soir-là, alors qu’il bordait Jules et Maxime dans leur lit, ils levèrent vers lui des yeux endormis. « Papa », dit doucement Jules, « tu es le seul qui puisse nous maîtriser. »
Pierre sourit faiblement aux mots de son fils, mais au fond de lui il ressentit une pointe de doute. Il aurait aimé pouvoir y croire lui-même.