Quand l’amour vacille : une nuit, tout a basculé
« Camille, je n’en peux plus… Il faut que tu partes quelques jours chez tes parents avec Léa. »
La voix d’Antoine tremblait, mais il ne me regardait pas. Il fixait le mur du salon, les yeux cernés, les mains crispées sur la tasse de café froid. Léa hurlait dans mes bras, son visage rouge et froissé par la colère. Je sentais mes jambes fléchir sous le poids de la fatigue et de l’incompréhension.
Je n’ai rien dit. J’ai juste serré un peu plus fort ma fille contre moi, comme si je pouvais la protéger de cette fissure qui venait de s’ouvrir dans notre vie. Je me suis dirigée vers la chambre, j’ai jeté quelques vêtements dans un sac, attrapé le doudou préféré de Léa et j’ai claqué la porte derrière moi.
Dans la voiture, la pluie martelait le pare-brise. Léa s’était enfin endormie, épuisée par ses pleurs. Moi, je conduisais en pilote automatique, les yeux embués de larmes. Je repassais en boucle les dernières semaines : les nuits blanches, les disputes à voix basse pour ne pas réveiller le bébé, les reproches silencieux qui s’accumulaient comme la vaisselle sale dans l’évier.
Chez mes parents, tout semblait figé dans une routine rassurante. Ma mère m’a accueillie avec un regard inquiet :
— Camille, qu’est-ce qui se passe ?
J’ai fondu en larmes dans ses bras. Elle a pris Léa sans un mot et m’a laissée m’effondrer sur le canapé du salon. Mon père est arrivé plus tard, un peu gêné par la scène, mais il a simplement posé une main sur mon épaule.
Les jours suivants ont été un mélange étrange de soulagement et de honte. Soulagement parce que je n’étais plus seule à gérer les cris de Léa ; honte parce que j’avais l’impression d’avoir échoué là où tant d’autres femmes semblaient réussir sans faillir.
Antoine m’appelait chaque soir. Au début, il demandait des nouvelles de Léa, puis il est devenu plus distant. Un soir, il a lâché :
— Je crois que j’ai besoin de réfléchir…
J’ai senti mon cœur se serrer. Était-ce la fin ?
Ma mère essayait de me rassurer :
— Tu sais, ton père aussi a eu du mal quand tu es née. On ne parle jamais des pères qui craquent…
Mais moi, je voyais surtout l’absence d’Antoine comme une trahison. J’avais besoin de lui, pas seulement pour porter le bébé ou changer une couche, mais pour partager ce vertige immense qu’est la naissance d’un enfant.
Un soir, alors que je berçais Léa dans la pénombre de ma chambre d’adolescente, j’ai entendu mon père parler à ma mère dans la cuisine :
— Tu crois qu’ils vont s’en sortir ?
— Je ne sais pas… Mais il faut qu’ils parlent. Qu’ils arrêtent de tout garder pour eux.
Le lendemain matin, j’ai décidé d’appeler Antoine. Ma voix tremblait :
— Tu veux qu’on parle ?
Il a accepté. Nous nous sommes retrouvés dans un petit café du centre-ville. Il avait l’air plus vieux, les traits tirés par le manque de sommeil et l’angoisse.
— Je suis désolé, Camille… Je n’arrive plus à respirer depuis que Léa est là. J’ai l’impression d’être inutile, de ne servir à rien…
Je me suis sentie déchirée entre la colère et la compassion. Moi aussi, je me sentais inutile parfois. Moi aussi, j’avais envie de fuir.
— On aurait dû demander de l’aide plus tôt…
Il a hoché la tête.
— Je t’aime, Camille. Mais je ne sais pas si je suis fait pour être père.
Cette phrase m’a glacée. Et si tout s’arrêtait là ? Si notre histoire ne survivait pas à l’arrivée de notre fille ?
Nous avons parlé longtemps. Nous avons pleuré ensemble. Nous avons décidé d’aller voir un conseiller conjugal.
Les semaines suivantes ont été difficiles. Mais petit à petit, nous avons appris à nous parler sans nous juger. À accepter nos faiblesses. À demander de l’aide à nos familles et à nos amis.
Aujourd’hui encore, il y a des soirs où Léa pleure sans raison et où je sens la panique monter en moi. Mais je sais qu’Antoine est là, même s’il doute parfois.
Est-ce que l’amour suffit pour traverser les tempêtes du quotidien ? Est-ce que d’autres couples ont vécu ce que nous avons traversé ?