Quand J’ai Tout Laissé : Lettre de Bordeaux
« Tu n’as pas honte ? » La voix de ma belle-mère résonne encore dans ma tête, tranchante comme un couteau. Je me revois, debout dans la cuisine, les mains tremblantes autour d’une tasse de café froid, alors que mon mari, François, me regarde sans comprendre. Les enfants dorment encore à l’étage. Il est six heures du matin à Bordeaux, et je viens de prononcer les mots qui vont tout changer : « Je pars. »
François ne dit rien. Il baisse les yeux, comme s’il savait que c’était inévitable. Ma belle-mère, Monique, s’approche de moi, furieuse : « Tu vas les abandonner ? Tu es leur mère ! » Je sens la colère, la honte, la peur. Mais aussi un soulagement immense. Je ne peux plus respirer ici. Je n’existe plus. Je ne suis plus qu’une ombre qui prépare des goûters, qui plie le linge, qui sourit aux voisins.
Je monte dans ma vieille Clio, un sac jeté sur le siège passager. Je roule sans but, les larmes brouillant la route. Je ne sais pas où je vais. Peut-être Paris, peut-être la mer. Je veux juste fuir cette maison, cette vie qui n’est plus la mienne.
Les jours suivants sont flous. Je dors dans des hôtels bon marché, j’éteins mon portable. Je pense à mes enfants, Camille et Lucas, à leurs rires, à leurs pleurs. Je pense à François, à sa fatigue, à son silence. Je pense à Monique, à ses jugements, à ses reproches constants : « Une vraie mère ne part pas. »
Mais moi, je suis fatiguée d’être une « vraie mère ». Je suis fatiguée d’être une épouse modèle, une belle-fille docile, une femme invisible. J’ai 38 ans et je ne sais même plus ce que j’aime, ce que je veux, qui je suis.
Un soir, dans un petit bar de La Rochelle, je rencontre Claire. Elle a mon âge, elle fume trop, elle rit fort. Elle me parle de sa vie, de ses galères, de ses rêves. Elle me dit : « Tu sais, on a le droit de penser à soi. Même quand on est mère. » Je pleure dans ses bras. Elle me propose de rester chez elle quelques jours.
Chez Claire, je découvre le silence, la liberté. Je lis, j’écris, je marche sur la plage. Je me demande si je suis égoïste. Si je suis une mauvaise mère. Mais je sens aussi une force nouvelle en moi, une envie de vivre autrement.
François m’appelle. Je ne réponds pas. Il m’envoie des messages : « Les enfants demandent après toi. » « Monique est furieuse. » « Tu vas revenir ? » Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas si je veux revenir.
Un matin, Camille m’envoie un dessin par mail. Elle a dessiné une maison, un soleil, une maman qui sourit. Je m’effondre. Je voudrais la serrer dans mes bras, lui expliquer que je ne l’abandonne pas, que j’ai juste besoin de me retrouver. Mais comment expliquer cela à une enfant de six ans ?
Je repense à mon enfance à Limoges, à ma mère qui s’oubliait pour nous, à ses silences, à sa tristesse. Je me souviens m’être promis de ne jamais devenir comme elle. Et pourtant…
Un soir, François finit par me retrouver. Il frappe à la porte de Claire, les yeux cernés, la voix brisée : « Pourquoi tu fais ça ? »
Je le regarde longtemps avant de répondre. « Parce que je meurs à petit feu. Parce que je ne suis plus moi-même. Parce que j’ai besoin de respirer. »
Il s’assoit, la tête dans les mains. « Et nous ? Tu penses à nous ? »
Je pleure. Oui, je pense à eux. Tout le temps. Mais si je reste, je vais finir par les détester, par me détester. Je veux être une mère présente, pas une mère fantôme.
Les jours passent. François retourne à Bordeaux. Je reste encore un peu chez Claire. Je commence une thérapie. J’écris des lettres à mes enfants, que je n’envoie pas. Je parle avec d’autres femmes au café du coin. Beaucoup me disent qu’elles ont déjà rêvé de partir, mais qu’elles n’ont jamais osé.
Un matin, je décide de rentrer. Pas pour reprendre ma vie d’avant, mais pour parler, pour expliquer, pour essayer de reconstruire autrement. Je veux montrer à Camille et Lucas qu’on a le droit de s’écouter, de changer, de chercher le bonheur.
Quand j’arrive à Bordeaux, Monique me ferme la porte au nez. François m’accueille sans un mot. Les enfants se jettent dans mes bras. Je pleure, eux aussi. Je leur dis que je les aime, que je suis désolée, que parfois les mamans aussi ont besoin d’aide.
La route sera longue. Rien ne sera plus jamais comme avant. Mais pour la première fois depuis des années, je me sens vivante.
Est-ce que j’ai eu raison de partir ? Est-ce qu’une mère a le droit de penser à elle ? Et vous, qu’en pensez-vous ?