Prisonnière de ma belle-famille : Quand la maison devient une cage

« Tu devrais me remercier, Camille. À ton âge, je n’avais même pas de maison à nettoyer. »

La voix de ma belle-mère, Monique, résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée du balai, les jointures blanches. Mes enfants jouent dans le salon, inconscients de la tension qui sature l’air. Monique s’installe à la table, une tasse de thé fumant devant elle, le regard posé sur moi comme si j’étais une domestique.

Je voudrais lui répondre, lui dire que je ne suis pas sa bonne, que cette maison est aussi la mienne. Mais Julien, mon mari, entre à cet instant. Il embrasse sa mère sur la joue, m’adresse un sourire fatigué et file s’occuper des enfants. Il ne voit rien. Ou plutôt, il ne veut rien voir.

Depuis qu’elle a perdu son mari il y a trois ans, Monique s’est installée chez nous « temporairement ». Trois ans plus tard, elle occupe toujours la chambre d’amis et mon espace vital. Elle laisse traîner ses affaires partout, exige des repas à heures fixes et critique tout ce que je fais. « Tu as encore oublié de repasser mes chemisiers », soupire-t-elle en feuilletant un magazine. Je ravale mes larmes et continue à frotter la table.

Le soir venu, alors que je borde mes enfants, Léa et Paul, j’entends Monique parler à Julien dans le couloir :

— Tu sais, elle n’est pas très organisée, ta femme. À ta place…
— Maman, s’il te plaît…
— Je dis ça pour votre bien !

Je ferme les yeux. J’ai envie de hurler. Mais je me retiens. Pour mes enfants. Pour Julien. Pour cette famille que j’ai voulu construire.

Le lendemain matin, Monique me tend une liste : « Courses à faire ». Elle y a noté ses préférences alimentaires, ses produits de beauté favoris, même le journal qu’elle lit chaque matin. Je regarde la feuille, puis elle :

— Tu pourrais y aller avant midi ? J’ai besoin du lait d’amande pour mon petit-déjeuner.

Je hoche la tête en silence. Dans la rue, le vent froid me gifle le visage. Je me demande comment j’en suis arrivée là. J’étais une femme indépendante avant Julien. J’avais un travail, des amis, des rêves. Aujourd’hui, je suis prisonnière d’une routine qui ne m’appartient plus.

À la caisse du supermarché, je croise Sophie, une ancienne collègue.

— Tu as l’air fatiguée…
— C’est compliqué à la maison…
— Tu veux en parler ?

Mais je n’ose pas. Par honte. Par peur du jugement.

Le soir même, alors que je prépare le dîner — Monique refuse tout ce qui n’est pas bio — Léa tire sur ma manche :

— Maman, pourquoi mamie te crie dessus ?

Mon cœur se serre. Je m’accroupis à sa hauteur.

— Mamie est parfois fatiguée et elle oublie d’être gentille. Mais ce n’est pas grave.

Je mens à ma fille. Je mens à moi-même.

Après le repas, Monique s’installe devant la télévision et laisse tout en plan. Julien débarrasse vaguement son assiette puis rejoint sa mère sur le canapé. Je reste seule dans la cuisine à ranger, laver, essuyer. Mes mains tremblent de colère et d’épuisement.

Plus tard dans la nuit, je tente d’en parler à Julien :

— Tu ne vois pas ce qu’elle me fait subir ?
— Elle est seule… Elle a besoin de nous…
— Et moi ? Tu penses à moi ?

Il détourne les yeux.

— Ce n’est pas facile pour personne…

Je comprends alors que je suis seule dans ce combat.

Les semaines passent. Monique prend de plus en plus de place. Elle critique mon éducation (« Tu es trop laxiste avec Léa ! »), mes choix (« Encore un troisième enfant ? Tu n’y penses pas ! »), ma cuisine (« Ce gratin manque de sel… »). Un soir, elle ose devant Julien :

— Tu devrais trouver quelqu’un pour t’aider à la maison. Camille n’y arrive pas toute seule.

Julien ne répond rien. Il baisse la tête.

Je craque.

— Ça suffit ! Je ne suis pas votre domestique ! J’en ai assez de vos remarques !

Un silence glacial s’abat sur la pièce. Monique se lève brusquement et claque la porte de sa chambre. Julien me regarde comme si j’étais devenue folle.

— Tu aurais pu être plus douce…
— Plus douce ?! Après tout ce qu’elle me fait subir ?!

Il ne répond pas.

Cette nuit-là, je dors mal. Je pense à partir. À tout quitter. Mais où irais-je avec deux enfants et un troisième en route ? Ma famille est loin, mes amis se sont éloignés depuis que Monique a envahi notre vie.

Le lendemain matin, Monique fait mine de ne rien s’être passé. Mais elle ne m’adresse plus la parole. Julien part travailler sans un mot. Je me retrouve seule avec mes enfants et le silence pesant de cette maison qui n’est plus un foyer.

Je décide alors d’appeler Sophie.

— J’ai besoin d’aide…

Sa voix chaleureuse me réconforte :

— Viens prendre un café demain matin. On parlera.

Pour la première fois depuis longtemps, j’entrevois une lueur d’espoir.

Mais ce soir encore, alors que je range les jouets dans le salon déserté, une question me hante : Combien de femmes vivent ce que je vis sans jamais oser en parler ? Et vous, jusqu’où seriez-vous prêts à supporter l’ingratitude au nom de la famille ?