« Je suis à Lyon, les enfants sont chez maman. Pardonne-moi, Paul, essaie de comprendre ! » – Confession d’une mère épuisée

« Paul, je t’en supplie, ne me juge pas. Je suis à Lyon, les enfants sont chez maman. Pardonne-moi, essaie de comprendre ! »

J’ai relu ce message au moins dix fois avant d’oser l’envoyer. Mes mains tremblaient, mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser. Je me tenais debout dans la petite cuisine de ma mère, à Bron, le regard perdu dans la lumière blafarde du matin. Les enfants dormaient encore, bercés par l’odeur du café et du pain grillé. Moi, je n’avais pas fermé l’œil de la nuit.

Tout a commencé il y a des années, mais je ne l’ai compris qu’hier soir. Paul est rentré tard, comme d’habitude. Il a à peine levé les yeux de son téléphone quand j’ai posé le dîner sur la table. « Merci, Claire. » Un merci automatique, sans chaleur. Les enfants se chamaillaient pour un jouet cassé. J’ai crié, puis j’ai pleuré en silence dans la salle de bains. Personne n’a frappé à la porte.

Je me suis vue dans le miroir : cernes violets, cheveux en bataille, t-shirt taché de compote. Où était passée la Claire d’avant ? Celle qui riait fort dans les rues du Vieux Lyon, qui rêvait de voyages et de romans ?

Le lendemain matin, tout a explosé. Arthur a renversé son bol de céréales sur le sol. Louise hurlait parce qu’elle ne trouvait pas sa chaussure préférée. Paul lisait les infos sur son portable. J’ai crié plus fort que jamais : « Est-ce que quelqu’un peut m’aider ici ?! » Silence. Paul a soupiré : « Tu dramatises toujours tout… »

C’est là que j’ai compris que je n’existais plus que comme une ombre dans cette maison.

J’ai pris mon sac, fourré quelques vêtements dedans, attrapé les doudous des enfants et je suis partie chez ma mère. Elle m’a ouvert la porte sans un mot, m’a serrée contre elle comme quand j’étais petite. J’ai fondu en larmes.

« Qu’est-ce qui t’arrive, ma chérie ? »

Je n’ai pas su répondre. Comment expliquer ce vide qui me ronge ? Cette fatigue qui colle à la peau ?

Le soir même, Paul a appelé. Je n’ai pas décroché. Il a envoyé des messages : « Où es-tu ? Les enfants vont bien ? Tu vas revenir ? »

Je n’avais pas de réponses.

Chez maman, tout est plus calme. Elle prépare des tartines pour Arthur et Louise, leur lit des histoires comme elle le faisait pour moi autrefois. Je dors enfin un peu. Mais la culpabilité me ronge : ai-je abandonné mes enfants ? Suis-je une mauvaise mère ?

Un soir, alors que je pliais le linge avec maman, elle m’a dit doucement : « Tu sais, Claire, moi aussi j’ai eu envie de partir parfois… Mais à mon époque, on n’en parlait pas. On serrait les dents. »

Je l’ai regardée avec surprise : « Et tu as tenu comment ? »

Elle a haussé les épaules : « On n’avait pas le choix. Mais toi, tu as le droit d’exister aussi. »

Ces mots ont résonné en moi toute la nuit.

Le lendemain matin, Paul est venu frapper à la porte de ma mère. Il avait l’air perdu, fatigué lui aussi.

« Claire… On peut parler ? »

Nous nous sommes assis dans le salon silencieux.

« Pourquoi tu es partie ? Tu ne m’as rien dit… »

J’ai senti la colère monter : « Parce que tu ne vois rien ! Tu ne vois pas que je m’effondre chaque jour un peu plus ! Tu crois que tout va bien parce que le dîner est prêt et que les enfants sont lavés ? Je ne suis pas un robot ! »

Il a baissé les yeux : « Je suis désolé… Je croyais que tu gérais tout… Je ne savais pas comment t’aider… »

Un silence lourd s’est installé.

« Tu veux qu’on fasse quoi maintenant ? »

J’ai murmuré : « Je veux juste qu’on me voie… Qu’on m’écoute… Qu’on partage ce poids… »

Paul a hoché la tête : « Je vais essayer… Mais il faut que tu me dises quand ça ne va pas… Je ne comprends pas toujours… »

J’ai souri tristement : « Moi non plus je ne comprends pas toujours… Mais je ne veux plus disparaître dans cette maison. »

Les jours suivants ont été étranges. Paul a proposé de s’occuper des enfants le matin pour que je puisse dormir un peu plus. Il a préparé le dîner deux soirs de suite (bon, c’était des pâtes au beurre, mais c’est déjà ça). Maman m’a encouragée à sortir marcher seule dans le parc de la Tête d’Or.

Petit à petit, j’ai senti une brise légère souffler sur ma fatigue.

Mais rien n’est réglé. La peur de replonger est là, tapie dans l’ombre du quotidien.

Aujourd’hui encore, alors que j’écris ces lignes dans la chambre de mon enfance, je me demande : jusqu’où peut-on tenir avant de s’effondrer ? Quand est-ce que notre société comprendra qu’une mère n’est pas inépuisable ? Et vous, avez-vous déjà eu envie de tout quitter juste pour exister enfin ?