« Je ne suis pas la nounou de la famille : mon congé maternité, mon combat »
« Tu pourrais quand même rendre service à ta sœur, non ? Tu es à la maison toute la journée… »
La voix de Paul résonne encore dans ma tête. Il est 7h du matin, je viens à peine d’allaiter Léa, notre nouveau-né, et déjà la tension monte dans l’appartement. Je regarde Paul, mon mari, qui enfile sa chemise comme si de rien n’était. Je sens la colère monter, mais aussi une immense fatigue. Depuis trois semaines, je dors par tranches de deux heures, jonglant entre Léa et Hugo, notre aîné de trois ans. Et voilà qu’on me demande d’en faire plus.
« Paul, tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Je viens d’accoucher. Je ne suis pas une nounou gratuite. »
Il soupire, lève les yeux au ciel. « C’est juste pour dépanner ta sœur. Elle n’a personne d’autre. Et puis toi, tu es déjà à la maison… »
Ma sœur, Julie, débarque dix minutes plus tard avec Lucie, sa fille de dix-huit mois. Elle a les yeux cernés, l’air pressé. « Camille, je t’en supplie… Je dois absolument aller bosser aujourd’hui. Tu comprends, mon chef ne veut plus entendre parler de télétravail. »
Je regarde Lucie, adorable avec ses bouclettes blondes et son doudou serré contre elle. Mais je sens mes mains trembler. J’ai envie de pleurer. Personne ne voit que je suis au bout du rouleau. Personne ne comprend que le congé maternité n’est pas des vacances.
Je me souviens encore du jour où j’ai appris ma grossesse. Paul était fou de joie. On s’imaginait déjà une famille soudée, des dimanches à la campagne chez mes parents en Bretagne. Mais la réalité est tout autre. Depuis l’arrivée de Léa, tout le monde semble penser que je peux tout gérer. Que je suis une super-maman capable d’accueillir tous les enfants du quartier.
Ce matin-là, j’ai craqué.
« Non Julie, je ne peux pas. Je suis désolée. Je n’y arrive plus. Je dois penser à moi et à mes enfants. »
Le silence s’est abattu dans le salon. Julie m’a regardée comme si je venais de lui planter un couteau dans le dos.
« Tu exagères Camille… Tu sais ce que c’est d’être mère qui travaille ! Tu pourrais comprendre… »
Paul est intervenu : « Allez Camille, c’est juste pour aujourd’hui… »
Mais aujourd’hui deviendra demain, puis après-demain. Je le sais trop bien.
J’ai fermé les yeux un instant pour ne pas pleurer devant eux.
« Je comprends ta galère Julie, mais moi aussi je galère. J’ai besoin de repos, j’ai besoin qu’on me laisse respirer. Ce n’est pas parce que je suis en congé maternité que je dois prendre en charge tout le monde. Ce n’est pas juste pour Léa ni pour Hugo non plus… »
Julie a pris Lucie dans ses bras et a claqué la porte sans un mot.
Paul m’a lancé un regard noir avant de partir travailler.
La journée a été longue. J’ai pleuré en silence pendant que Léa dormait sur mon torse. J’ai culpabilisé, bien sûr. En France, on nous apprend à être solidaires en famille, à se serrer les coudes. Mais à quel prix ? Pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter la charge mentale des autres ?
Le soir venu, Paul est rentré sans un mot. Il a dîné en silence puis s’est enfermé dans le bureau.
J’ai appelé ma mère pour chercher du réconfort.
« Tu as bien fait Camille. Tu dois penser à toi aussi. Les autres finiront par comprendre… ou pas. Mais tu n’es pas leur boniche. »
Ses mots m’ont fait du bien.
Les jours suivants ont été tendus. Julie ne répondait plus à mes messages. Paul était distant.
Un soir, alors que j’endormais Hugo, il m’a rejoint dans la chambre.
« Tu sais Camille… Peut-être qu’on t’en demande trop parfois… Mais c’est compliqué pour Julie aussi… On devrait trouver une solution ensemble… »
J’ai soupiré.
« La solution ce n’est pas que je m’oublie pour arranger tout le monde. La solution c’est que chacun prenne ses responsabilités. Julie doit trouver une nounou ou demander à son compagnon de s’impliquer davantage. Moi aussi j’ai besoin d’aide, pas seulement d’en donner… »
Paul a hoché la tête sans rien dire.
Quelques jours plus tard, Julie m’a écrit un message court : « Désolée pour l’autre jour. J’étais à bout moi aussi… On va se débrouiller autrement. Prends soin de toi et des petits. »
J’ai pleuré en lisant ces mots.
Depuis ce jour-là, j’ai appris à poser mes limites. À dire non sans culpabiliser (ou presque). À demander de l’aide quand j’en ai besoin.
Mais parfois je me demande… Pourquoi est-ce si difficile pour une mère en France de s’autoriser à penser à elle-même ? Pourquoi la société attend-elle toujours plus des femmes, même quand elles sont déjà au bord du gouffre ?
Et vous… Est-ce que vous avez déjà eu l’impression qu’on attendait trop de vous simplement parce que vous êtes une femme ou une mère ?