« J’ai songé à divorcer de Paul après sa trahison : mais mes parents m’en ont empêchée »
« Tu rentres encore tard, Paul ? » Ma voix tremble, même si j’essaie de la rendre neutre. Il est 23h47, la lumière du salon éclaire faiblement son visage fatigué. Il évite mon regard, pose ses clés sur la commode et murmure : « J’avais une réunion qui a débordé… Tu sais comment c’est au cabinet. » Je sais. Ou plutôt, je croyais savoir. Jusqu’à ce que je découvre ce message sur son téléphone, il y a trois semaines. Un prénom inconnu, des mots tendres, une promesse de se revoir. Depuis, chaque minute passée à ses côtés me brûle.
Je m’appelle Camille, j’ai trente-trois ans, et je croyais avoir construit une vie solide avec Paul. Nous nous sommes rencontrés à la fac de droit à Lyon. J’étais timide, peu sûre de moi, et lui… Paul était tout ce que je n’étais pas : brillant, drôle, sûr de lui. Il m’a choisie alors que toutes les filles semblaient le vouloir. On s’est mariés jeunes, contre l’avis de mes amies qui me trouvaient naïve. Mais mes parents étaient fiers : « Un avocat, Camille ! Tu as fait le bon choix. »
Les années ont passé, rythmées par les naissances de nos deux enfants, Léa et Arthur, par les vacances en Bretagne chez mes beaux-parents, par les dîners entre amis où je jouais la femme parfaite. Mais ce soir-là, devant ce message, tout s’est fissuré. J’ai attendu qu’il dorme pour pleurer en silence dans la salle de bains. J’ai pensé à partir. J’ai même cherché un appartement sur Leboncoin.
Le lendemain, j’ai appelé ma mère. Je voulais juste entendre sa voix, sentir qu’elle me soutiendrait quoi qu’il arrive. Mais à peine ai-je évoqué la trahison de Paul qu’elle a coupé court : « Camille, tu ne vas pas tout gâcher pour une erreur d’homme ! Pense aux enfants… Et puis, tu sais bien que dans notre famille, on ne divorce pas. » Mon père a renchéri le soir même : « Tu veux finir seule comme ta tante Hélène ? Réfléchis bien avant de tout envoyer valser. »
J’ai senti la honte m’envahir. La honte d’avoir été trompée, la honte d’envisager le divorce alors que tout le monde autour de moi semblait tenir bon malgré les tempêtes. À l’école, Léa m’a demandé pourquoi papa était triste ces derniers temps. J’ai menti. Encore.
Les jours suivants ont été un supplice. Paul faisait des efforts visibles : bouquets de fleurs, petits-déjeuners au lit, sorties improvisées au cinéma comme quand nous étions étudiants. Mais je n’arrivais plus à lui faire confiance. Un soir, alors que nous dînions en silence, il a posé sa main sur la mienne :
— Camille… Je sais que tu sais.
J’ai retiré ma main brusquement.
— Pourquoi tu as fait ça ? Tu te rends compte de ce que tu as brisé ?
Il a baissé les yeux.
— Je suis désolé. Je me sentais… perdu. J’ai eu peur de vieillir, peur de ne plus te plaire… Mais ça n’excuse rien.
J’aurais voulu hurler. Au lieu de ça, j’ai éclaté en sanglots.
Le lendemain matin, ma mère est venue chez nous sans prévenir. Elle a préparé du café comme si de rien n’était et m’a prise à part dans la cuisine.
— Camille, tu dois pardonner à Paul. Pense à ta réputation… À celle des enfants. Tu veux qu’on parle de toi comme on a parlé de ta cousine Sophie quand elle a quitté son mari ? Regarde où elle en est maintenant.
Je me suis sentie prise au piège entre mon propre malheur et le poids des traditions familiales. J’ai repensé à toutes ces femmes de ma famille qui avaient fermé les yeux sur les écarts de leurs maris pour sauver les apparences.
Un soir d’orage, j’ai craqué devant Paul.
— Je ne peux plus vivre comme ça… Je ne sais plus qui je suis ni ce que je veux.
Il m’a regardée longuement.
— Je t’aime encore, Camille. Je ferai tout pour te prouver que je peux changer.
Mais comment croire à nouveau ? Comment reconstruire sur des ruines ?
J’ai consulté une psychologue en cachette. Elle m’a dit que je devais penser à moi avant tout. Que rester pour les autres n’était pas une solution durable.
Mais chaque fois que je franchissais le seuil de la maison familiale à Annecy pour un déjeuner dominical, je voyais dans les yeux de mes parents la peur du scandale. « On ne divorce pas chez nous », répétait ma mère comme un mantra.
Un dimanche midi, alors que Léa jouait dans le jardin et que mon père lisait Le Monde sur la terrasse, j’ai pris ma mère à part.
— Maman… Et toi, tu as déjà pensé à partir un jour ?
Elle a blêmi puis a détourné les yeux.
— Ce n’est pas pareil… Ton père n’a jamais…
Mais son silence en disait long.
Aujourd’hui encore, je vis dans cette incertitude. J’essaie d’avancer pour mes enfants, pour moi aussi peut-être. Parfois j’imagine une autre vie ailleurs, loin des regards et des jugements.
Est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’impardonnable ? Ou bien sommes-nous condamnés à porter le masque du bonheur pour rassurer ceux qui nous entourent ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?