Quand nos mères sont devenues amies : Le jour où tout a basculé
— Tu es sûr qu’on fait bien ?
La voix de Paul tremblait à peine, mais je sentais son angoisse sous la table. Moi, Camille, je fixais la pluie qui battait contre la vitre du café du coin, essayant de calmer mon cœur qui cognait dans ma poitrine. Nos deux familles étaient là, assises face à face, un peu raides, un peu gênées. Ma mère, Françoise, avait sorti son sourire de circonstance ; la sienne, Hélène, triturait nerveusement la anse de sa tasse.
Je me suis lancée :
— On a quelque chose à vous annoncer…
Un silence. Les regards se sont croisés, inquiets. Paul a pris ma main.
— On va se marier. Et… on voudrait faire ça vite. Rien de grandiose, juste nous deux et vous.
Le silence s’est épaissi. Puis, comme si elles s’étaient donné le mot, nos mères se sont redressées d’un même mouvement. Leurs yeux se sont allumés d’une lueur que je n’avais jamais vue.
— Mais enfin Camille ! s’est exclamée ma mère. On ne peut pas faire ça à la va-vite !
— Paul, tu plaisantes ? a renchéri Hélène. Un mariage, ça se prépare !
Elles se sont regardées, et là… quelque chose s’est passé. Une sorte d’étincelle complice. Elles ont commencé à parler en même temps : des fleurs, du traiteur, de la robe, du photographe…
Paul et moi étions relégués au rang de spectateurs. Nos pères échangeaient des regards résignés au-dessus de leurs cafés refroidis.
Les jours suivants ont été un tourbillon. Nos mères se sont appelées chaque soir, échangeant des idées, des adresses, des souvenirs de leur propre mariage. Elles riaient comme deux adolescentes. Mais très vite, leur enthousiasme est devenu envahissant.
Un soir, alors que je rentrais du travail, ma mère m’attendait dans le salon avec un classeur rempli de coupures de magazines.
— Regarde cette salle à Montmartre ! Et ce traiteur bio !
Je tentais de protester :
— Maman, on voulait juste un truc simple…
Elle m’a coupée :
— Camille, c’est ton mariage ! On ne fait ça qu’une fois dans sa vie !
Chez Paul, c’était pareil. Hélène avait déjà réservé une boutique pour les essayages de robe et envoyé des invitations à la moitié du village où elle avait grandi.
Paul et moi nous retrouvions le soir dans notre petit appartement du 18ème arrondissement, épuisés.
— On ne contrôle plus rien…
— Je sais… Mais comment leur dire sans les blesser ?
Un samedi matin, nous avons tenté une intervention. Nous avons invité nos mères à déjeuner dans un petit bistrot près du Canal Saint-Martin.
— On voulait vous parler… commença Paul.
Mais elles étaient déjà lancées sur le choix des dragées et la playlist du DJ.
— Vous ne comprenez pas ! ai-je fini par exploser. Ce n’est pas NOTRE mariage !
Un silence glacial est tombé sur la table. Ma mère a baissé les yeux. Hélène a serré les lèvres.
— On voulait juste vous faire plaisir… a murmuré ma mère.
Je me suis sentie coupable aussitôt. Mais la colère était plus forte.
Les semaines suivantes ont été tendues. Les préparatifs avançaient sans nous. Nos amis nous demandaient si on était contents ; on répondait par des sourires forcés.
La veille du mariage, j’ai craqué. Je suis allée marcher seule sur les quais de Seine. J’ai repensé à mon enfance, aux rêves que j’avais pour ce jour-là : quelque chose d’intime, de vrai. Pas une fête orchestrée par d’autres.
Paul m’a rejointe.
— On ne peut pas continuer comme ça.
On a pris une décision folle : annuler tout ce qui avait été prévu et organiser une cérémonie improvisée dans le jardin d’un ami.
Le lendemain matin, nous avons convoqué tout le monde chez nous.
— On vous aime, mais ce mariage doit être le nôtre. Aujourd’hui, on va se marier ici, simplement.
Nos mères étaient sous le choc. Puis j’ai vu leurs yeux s’emplir de larmes — de tristesse ou de fierté ? Peut-être un peu des deux.
La cérémonie a été belle. Simple. Authentique. Nos parents ont fini par sourire. Nos mères se sont prises la main pendant que nous échangions nos vœux.
Aujourd’hui encore, je repense à ce jour où tout a failli nous échapper. Où l’amour filial s’est heurté à l’amour conjugal. Où il a fallu apprendre à dire non pour mieux dire oui.
Est-ce que c’est ça, grandir ? Savoir poser ses limites sans briser les liens ? Et vous, jusqu’où seriez-vous allés pour préserver votre rêve face à vos proches ?