Quand le passé frappe à la porte : le choix impossible de ma vie

— Martine ? C’est toi ?

La voix, douce et hésitante, me transperça alors que je fixais l’écran de mon téléphone, tentant d’oublier la fatigue de la journée. Je levai les yeux, et il était là. Paul. Mon cœur rata un battement. La mairie de Saint-Maur semblait soudain trop petite, l’air trop dense. J’avais vingt ans à nouveau, debout sous la pluie devant la fac de lettres, tremblante d’amour et d’incertitude.

— Paul… soufflai-je, incapable de masquer mon trouble.

Il sourit, ce sourire que je croyais avoir oublié. Il portait une barbe poivre et sel, ses yeux brillaient d’une chaleur familière. Nous avons échangé quelques banalités, maladroits, comme deux adolescents qui se retrouvent après un été trop long. Je sentais mes mains trembler alors que je récupérais mon nouveau passeport. Lui aussi venait pour des papiers. Le hasard, ou le destin ?

— Tu veux prendre un café ? proposa-t-il.

J’ai hésité. J’ai pensé à François, à nos enfants, à notre maison à Créteil. Mais j’ai accepté. Nous sommes allés au petit bistrot en face de la mairie. Les souvenirs affluaient : nos promenades sur les quais de la Seine, nos disputes passionnées, la lettre qu’il ne m’a jamais envoyée quand il est parti à Lyon.

— Tu es heureuse ? demanda-t-il soudain.

La question me heurta. Heureuse ? Je n’en savais rien. Ma vie était réglée comme du papier à musique : boulot, courses, devoirs des enfants, lessive, repas du soir. François était un homme bien, fiable, mais l’amour fou s’était dissous dans la routine.

— Je… Je crois que oui, répondis-je sans conviction.

Paul me raconta sa vie : un divorce douloureux, une fille adolescente rebelle, des parents malades dont il s’occupait seul. Il me regardait avec cette intensité qui m’avait tant troublée autrefois.

— Tu m’as manqué toutes ces années, murmura-t-il.

Je suis rentrée chez moi bouleversée. François m’attendait dans la cuisine, préparant le dîner comme chaque soir.

— Tu as l’air ailleurs, Martine. Tout va bien ?

J’ai menti. J’ai dit que j’étais fatiguée. Mais les jours suivants, Paul m’a écrit. Un message simple : « J’aimerais te revoir. »

J’ai résisté. Puis j’ai cédé. Nous nous sommes revus dans un parc. Nous avons parlé des heures durant. Je riais comme je ne riais plus depuis des années. Il me regardait comme si j’étais la seule femme au monde.

François a fini par découvrir les messages sur mon téléphone. Il n’a pas crié. Il n’a pas pleuré. Il a simplement dit :

— Si tu veux continuer à voir Paul, tu dois partir d’ici.

Son calme était plus terrible que n’importe quelle colère. Les enfants étaient déjà couchés. J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds.

— François… Ce n’est pas ce que tu crois…

— Martine, je ne veux pas d’explications. Je veux juste savoir ce que tu veux vraiment.

Je suis sortie dans le jardin pour respirer. La nuit était froide, les lumières de la ville diffuses derrière les arbres. J’ai pensé à tout ce que j’allais perdre : la stabilité, la famille unie, les souvenirs partagés avec François. Mais aussi à tout ce que j’avais déjà perdu : la passion, l’insouciance, le sentiment d’être vivante.

Le lendemain matin, j’ai préparé le petit-déjeuner en silence. Les enfants ont senti la tension mais n’ont rien dit. François m’a regardée avec une tristesse infinie.

— Tu as pris ta décision ?

J’ai éclaté en sanglots.

— Je ne sais pas ! Je ne sais plus qui je suis…

Il a posé sa main sur la mienne.

— Je t’aime encore, Martine. Mais je ne peux pas vivre avec une femme qui pense à un autre.

Les jours ont passé dans une atmosphère irrespirable. Paul m’écrivait chaque soir : « Je t’attends », « Je pense à toi ». François devenait de plus en plus distant mais restait digne devant les enfants.

Un soir, ma fille Camille est venue me voir dans ma chambre.

— Maman… Tu vas partir ?

Ses yeux étaient rouges d’avoir pleuré en cachette.

— Je ne sais pas encore, ma chérie…

— Papa est triste tout le temps maintenant…

Je me suis sentie coupable comme jamais auparavant. Avais-je le droit de tout détruire pour une passion ancienne ? Ou bien étais-je condamnée à vivre dans une cage dorée ?

J’ai revu Paul une dernière fois au bord de la Marne.

— Je ne peux pas tout quitter pour toi… Pas maintenant…

Il a hoché la tête tristement.

— Je comprends… Mais sache que je t’aimerai toujours.

Je suis rentrée chez moi en larmes. François m’attendait dans le salon.

— Alors ?

— Je reste… pour les enfants… pour toi… mais je ne sais pas si je pourrai oublier Paul.

Il a soupiré longuement.

— On va essayer de recoller les morceaux… Mais il faudra du temps.

Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai fait le bon choix. Peut-on vraiment tourner la page sur son premier amour ? Ou bien sommes-nous tous prisonniers de nos regrets ?