Le Parfum des Roses Cachées : Une Vérité sous la Table

— Tu veux encore du café, Élodie ?

La voix de Marc résonne dans la cuisine, mais je n’entends presque rien. Mes doigts tremblent alors que je tiens ce petit bout de papier, froissé, taché de confiture. Un ticket de caisse, trouvé par hasard sous la table, alors que je balayais les miettes du petit-déjeuner. Je le déplie, le cœur battant. « Bouquet de roses – 180 € ». La date : il y a trois jours. Le lieu : la petite boutique de fleurs au coin de notre rue, celle où Marc ne va jamais. Je ferme les yeux, espérant que les chiffres disparaissent, que tout cela ne soit qu’une erreur. Mais non. Je n’ai pas reçu de roses ce jour-là. Ni aucun autre.

Je me redresse, le ticket serré dans la main. Marc me regarde, une tasse à la main, l’air innocent. Je sens la colère monter, mais aussi une peur sourde, celle qui s’insinue quand on sent que quelque chose cloche, sans vouloir l’admettre.

— Tu as acheté des fleurs récemment ?

Il sursaute, renverse un peu de café sur le plan de travail. Il bafouille :

— Euh… Non, pourquoi ?

Je tends le ticket vers lui. Il pâlit. Un silence lourd s’installe. Je vois ses yeux fuir les miens, chercher une échappatoire. Mon cœur se serre.

— Pour qui étaient ces roses, Marc ?

Il hésite, puis soupire. Je sens qu’il va mentir, mais il ne trouve rien à dire. Je me sens trahie, humiliée. Dix ans de mariage, deux enfants, et voilà que tout vacille à cause d’un simple ticket de caisse.

Je repense à ces derniers mois. Les absences de Marc, ses messages effacés, ses excuses maladroites. Je me suis souvent dit que j’exagérais, que c’était la fatigue, la routine. Mais ce ticket… c’est la preuve que je n’étais pas folle.

Je quitte la cuisine sans un mot, monte dans la chambre et m’effondre sur le lit. Les souvenirs affluent : nos vacances à Biarritz, les anniversaires, les disputes aussi, mais toujours suivies de réconciliations. Et maintenant ? Que reste-t-il ?

Le soir, Marc tente de parler. Il s’assied au bord du lit, la tête basse.

— Élodie… Je suis désolé. Ce n’est pas ce que tu crois.

Je ris, un rire amer.

— Ah bon ? Alors explique-moi. Pour qui étaient ces roses ?

Il hésite, puis lâche enfin :

— Pour… pour une collègue. Elle traversait une période difficile. Je voulais simplement lui remonter le moral.

Je le fixe, incrédule.

— Et tu n’as pas pensé à m’en parler ? Tu caches le ticket sous la table ?

Il se tait. Je sens les larmes monter. Je ne sais plus quoi croire. Est-ce vraiment une simple attention amicale ? Ou y a-t-il autre chose ?

Les jours suivants sont un enfer. Je fouille dans ses affaires, je surveille son téléphone. Je me déteste pour ça, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je deviens méfiante, suspicieuse. Les enfants sentent la tension, ils posent des questions. Je leur souris, mais au fond, je suis brisée.

Un soir, alors que Marc rentre tard, je décide d’aller voir moi-même cette fameuse collègue. Je me rends à son bureau, prétextant un dossier à récupérer. Elle m’accueille avec un sourire triste. Je remarque un vase sur son bureau, rempli de roses rouges fanées.

— Elles sont belles, non ? me dit-elle en caressant une pétale.

Je hoche la tête, incapable de parler. Elle me regarde droit dans les yeux.

— Marc est quelqu’un de bien, vous savez. Il m’a beaucoup aidée ces derniers temps…

Je sens mon cœur se serrer. Elle ne ment pas. Je vois dans ses yeux la reconnaissance, pas l’amour. Je repars soulagée mais aussi honteuse d’avoir douté, d’avoir laissé la jalousie me consumer.

Le soir même, j’affronte Marc.

— J’ai vu ta collègue. Elle m’a parlé des fleurs. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ?

Il soupire, fatigué.

— Parce que je savais que tu réagirais comme ça. Parce que je ne voulais pas te blesser, ni te donner de raisons de douter de moi. Mais je comprends que j’ai mal agi.

Nous restons longtemps silencieux. Puis il prend ma main.

— Élodie, je t’aime. Je ne veux pas te perdre.

Je pleure enfin, toutes les larmes retenues depuis des jours. Peut-on vraiment reconstruire la confiance après ça ? Ou est-ce que chaque petit doute finira par tout détruire ?

Aujourd’hui encore, je regarde ce ticket de caisse, gardé dans un tiroir. Il me rappelle que même les histoires d’amour les plus solides peuvent vaciller sur un détail. Mais il me rappelle aussi que le dialogue est notre seule arme contre les non-dits.

Et vous, auriez-vous pardonné ? Ou le doute aurait-il tout emporté ?