« Est-ce que tu dors encore ? Il est temps de préparer le petit-déjeuner pour Louis ! » – La fin d’une histoire dans une famille française

« Est-ce que tu dors encore ? Il est temps de préparer le petit-déjeuner pour Louis ! »

Le message clignotait sur mon téléphone, insistant, presque agressif. Je l’ai lu une fois, deux fois, espérant que les mots changeraient, qu’ils deviendraient plus doux, moins accusateurs. Mais non. C’était bien la voix de ma belle-mère, Monique, qui résonnait à travers l’écran, comme elle résonnait dans notre appartement de Lyon depuis des années. Je me suis levée, la gorge serrée, les yeux encore embués de fatigue et de larmes non versées.

Louis dormait encore, paisible, inconscient du tumulte qui me rongeait. Je l’ai regardé un instant. Il avait l’air si vulnérable, presque enfantin. Mais ce n’était qu’une illusion. Depuis des mois, je n’étais plus sa compagne ; j’étais devenue sa mère de substitution, sa cuisinière, sa confidente silencieuse. Il ne me demandait plus comment j’allais. Il attendait simplement que tout soit fait : le café prêt, les chemises repassées, les soucis balayés.

Je me suis dirigée vers la cuisine, le téléphone toujours à la main. Monique m’avait envoyé un autre message : « N’oublie pas que Louis aime ses œufs à la coque le dimanche. » J’ai senti une colère sourde monter en moi. Pourquoi était-ce toujours à moi de penser à tout ? Pourquoi personne ne se souciait-il de ce que j’aimais, moi ?

Je me suis assise à la table, les mains tremblantes. J’ai repensé à mes rêves d’étudiante à Grenoble, à mes ambitions d’architecte, à cette passion pour les vieilles pierres et les lignes modernes. Tout cela semblait si loin. J’étais devenue l’ombre de moi-même.

Soudain, la porte de la chambre s’est ouverte. Louis est apparu, les cheveux en bataille.

— Tu n’as pas encore préparé le petit-déjeuner ?

Sa voix était douce mais pleine d’attente. Je l’ai regardé sans répondre. Il s’est approché et a posé une main sur mon épaule.

— Tu es fatiguée ?

J’ai hoché la tête. Il a soupiré et s’est assis en face de moi.

— Maman m’a dit que tu avais oublié les œufs la semaine dernière…

J’ai éclaté en sanglots. Je ne savais plus si c’était de tristesse ou de rage.

— Tu ne comprends pas… Tu ne vois rien !

Il m’a regardée, désemparé.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

— Que tu m’écoutes ! Que tu comprennes que je ne peux plus continuer comme ça !

Il a baissé les yeux. Un silence lourd s’est installé entre nous.

Ce jour-là, j’ai pris une décision. J’ai ouvert mon armoire et j’ai sorti deux valises. J’y ai mis quelques vêtements, mon carnet de croquis, une photo de mes parents et un livre que j’aimais lire enfant. Louis m’a regardée faire sans rien dire.

— Tu vas où ?

— Je pars.

Il a voulu protester mais aucun mot n’est sorti de sa bouche. J’ai traversé le salon en évitant son regard et j’ai claqué la porte derrière moi.

Dans la cage d’escalier, j’ai croisé Madame Dupuis, notre voisine du troisième.

— Tout va bien, Camille ?

J’ai esquissé un sourire triste.

— Oui… Enfin, je crois.

Dans la rue, l’air frais du matin m’a fouetté le visage. Je me suis sentie légère et terrifiée à la fois. Où allais-je aller ? Chez ma sœur à Villeurbanne ? À l’hôtel ? Peu importait. L’essentiel était que je partais.

Les jours suivants ont été un mélange d’euphorie et d’angoisse. Ma sœur Claire m’a accueillie sans poser de questions. Le soir, nous buvions du thé en silence devant la télévision. Elle savait que j’avais besoin de temps.

Monique a tenté de m’appeler plusieurs fois. Je n’ai pas répondu. Elle a laissé des messages : « Tu ne peux pas laisser Louis comme ça ! », « Pense à la famille ! » Mais pour une fois, j’ai pensé à moi.

Louis aussi a essayé de me joindre. Un soir, il est venu frapper à la porte de Claire.

— Camille… Reviens à la maison. On peut arranger les choses.

Je l’ai regardé longtemps avant de répondre.

— Tu veux arranger quoi ? Que je recommence à vivre pour toi ? Que je sois celle qui fait tout pendant que tu dors ?

Il a baissé les yeux.

— Je t’aime…

— Moi aussi je t’aimais. Mais je ne m’aime plus quand je suis avec toi.

Il est parti sans un mot de plus.

Peu à peu, j’ai retrouvé goût à la vie. J’ai repris contact avec une ancienne amie d’université qui m’a proposé un stage dans son cabinet d’architecture. J’ai recommencé à dessiner, à sortir seule dans les rues de Lyon, à respirer sans avoir peur du jugement ou des attentes des autres.

Un matin, alors que je buvais mon café sur le balcon de Claire, j’ai reçu un dernier message de Monique : « Tu as détruit notre famille. » J’ai souri tristement et j’ai supprimé le message sans répondre.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Ai-je eu raison de tout quitter ? Aurais-je pu sauver notre couple si j’avais été plus patiente ? Mais au fond de moi, je sais que c’était nécessaire.

Est-ce égoïste de choisir sa propre liberté plutôt que le confort des autres ? Ou bien est-ce le seul moyen d’être vraiment heureuse ? Qu’en pensez-vous ?