Un clic, une photo, et tout a basculé : le retour de Vincent
« Tu vas vraiment accepter ? » La voix de ma fille, Camille, résonne dans le salon alors que je fixe l’écran de mon ordinateur. Sur Facebook, la notification clignote : « Vous avez été invitée à rejoindre le groupe : Anciens du Lycée Victor Hugo 1986. »
Je souris, un peu amusée, un peu nostalgique. Je m’imagine déjà en train de feuilleter les photos jaunies, de rire devant les coupes de cheveux improbables et les pulls bariolés des années 80. Mais au moment où je clique sur « Accepter », je sens une étrange tension dans ma poitrine. Je ne sais pas encore que ce geste anodin va bouleverser tout mon équilibre.
Quelques minutes plus tard, les messages affluent. « Salut Sophie ! Tu n’as pas changé ! » écrit Isabelle. « Tu te souviens de la fête chez Jérôme ? » lance Pascal. Je réponds, je souris, je me laisse porter par la vague de souvenirs. Puis soudain, une nouvelle photo apparaît sur le fil du groupe. Je la reconnais immédiatement : Vincent. Mon Vincent.
Son visage n’a presque pas changé. Les mêmes yeux clairs, le même sourire en coin. Je sens mon cœur s’arrêter. Trente-huit ans ont passé, mais la blessure est là, vive, brûlante. Je ferme brusquement l’ordinateur.
Camille me regarde, inquiète :
— Maman, ça va ?
Je bredouille :
— Oui… Oui, ça va. Juste un peu fatiguée.
Mais comment lui expliquer ? Comment lui dire que cet homme sur la photo a été mon premier amour, et que notre histoire s’est terminée dans la douleur et le silence ?
Le lendemain, je reçois un message privé :
« Sophie… C’est bien toi ? J’espère que tu vas bien. Ça me ferait plaisir d’avoir de tes nouvelles. Vincent. »
Je relis le message dix fois. Je tremble. Je me souviens de nos promenades sur les bords de Loire, des heures passées à refaire le monde dans le parc du lycée. Et puis cette nuit-là, la dispute avec mon père, les cris, la porte qui claque. Vincent qui attendait dehors sous la pluie, moi qui n’osais plus sortir…
Je n’ai jamais su s’il m’en avait voulu. Je n’ai jamais su pourquoi il avait disparu du jour au lendemain, sans un mot.
Je réponds finalement :
« Bonjour Vincent. Oui, c’est moi… »
Les jours suivants, nous échangeons des messages timides. Il vit à Nantes, il a deux enfants. Il me demande si je veux prendre un café lors de la prochaine réunion des anciens élèves. J’hésite. Ma mère m’appelle ce soir-là :
— Tu as vu que Vincent est revenu dans la région ?
Sa voix est tendue. Je comprends qu’elle sait tout, qu’elle n’a rien oublié non plus.
— Maman… Pourquoi tu ne m’as jamais dit ce qui s’était vraiment passé cette nuit-là ?
Un silence pesant.
— Ce n’était pas à moi de te le dire… Ton père voulait te protéger.
Je sens la colère monter.
— Me protéger de quoi ? De qui ?
Elle soupire.
— Ton père ne voulait pas que tu partes avec Vincent. Il a fait en sorte qu’il ne revienne plus te voir.
Je reste sans voix. Tout ce temps…
Le jour de la réunion arrive. J’entre dans la salle des fêtes du lycée, le cœur battant à tout rompre. Les rires fusent, les verres tintent, mais je ne vois que lui. Vincent s’approche doucement.
— Salut Sophie…
Sa voix est plus grave qu’avant, mais elle me bouleverse toujours autant.
— Salut Vincent…
Nous restons là quelques secondes sans rien dire. Puis il murmure :
— Pourquoi tu n’es jamais venue ce soir-là ?
Je baisse les yeux.
— On m’en a empêchée…
Il comprend tout à travers mon silence. Il serre ma main.
— On a perdu tellement d’années…
La soirée passe trop vite. Nous parlons longtemps dehors sous les lampadaires du parking déserté. Il me raconte ses échecs, ses espoirs déçus, ses regrets aussi. Je lui parle de ma vie à Tours, de mon divorce difficile, de Camille qui grandit trop vite.
En rentrant chez moi cette nuit-là, je sens que quelque chose a changé en moi. J’affronte enfin mes parents le lendemain.
— Pourquoi vous avez décidé pour moi ? Pourquoi vous m’avez volé cette histoire ?
Mon père détourne les yeux.
— On croyait faire ce qu’il fallait… On avait peur pour toi.
Je pleure toutes les larmes retenues depuis tant d’années.
Vincent et moi nous revoyons plusieurs fois. Rien n’est simple : il y a nos enfants, nos vies construites ailleurs, nos blessures encore ouvertes. Mais il y a aussi cette évidence : malgré tout ce temps perdu, quelque chose subsiste entre nous.
Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on vraiment rattraper le passé ? Est-ce qu’un simple clic peut changer toute une vie ? Et vous… oseriez-vous rouvrir une vieille blessure pour retrouver un amour oublié ?