Ma voisine, qui n’en avait jamais assez : Histoire de limites et de courage à dire non
« Margaux, tu pourrais me dépanner encore une fois ? »
Sa voix résonne derrière la porte, insistante, presque suppliante. Je regarde l’horloge : il est 22h30. Je viens à peine de rentrer du travail, épuisée, les bras chargés de courses. Mais je sais déjà que je vais ouvrir. Comme d’habitude.
J’ouvre la porte. Solange est là, en peignoir, les cheveux en bataille, tenant une casserole vide. « Mon gaz ne marche plus… Tu pourrais me prêter ta plaque ? Juste pour ce soir. »
Je soupire intérieurement, mais je souris. « Bien sûr, entre. »
C’est comme ça depuis que j’ai emménagé dans cet immeuble de Montreuil il y a six mois. J’avais rêvé d’indépendance, de tranquillité après des années à partager des colocations bruyantes dans Paris. Mais Solange, ma voisine du palier, a flairé ma solitude et ma gentillesse comme un loup sent le sang.
Au début, c’était des petits services : relever son courrier pendant ses absences, arroser ses plantes. Puis c’est devenu quotidien : garder son chat, aller chercher ses médicaments, réparer sa box internet. Elle a même commencé à me demander de l’argent « en attendant sa retraite ».
Je n’osais jamais dire non. J’avais peur d’être mal vue dans l’immeuble, peur qu’on me juge égoïste. Ma mère m’a toujours dit : « Margaux, il faut aider les autres, surtout quand on est jeune et en bonne santé. » Mais à force d’aider Solange, je ne m’aidais plus moi-même.
Un soir, alors que je rentrais tard du travail – encore un dossier urgent à finir – j’ai trouvé Solange assise sur le palier devant ma porte. Elle pleurait. « Margaux, tu es la seule à qui je peux parler… »
Je l’ai fait entrer, lui ai servi du thé. Elle m’a raconté sa vie : son divorce difficile, ses enfants qui ne lui parlent plus, sa santé fragile. Je me suis sentie coupable de vouloir lui fermer la porte au nez.
Mais au fil des semaines, ses demandes sont devenues plus pressantes. Elle m’appelait à toute heure : « Margaux, tu peux venir m’aider à porter mes courses ? », « Margaux, tu pourrais me prêter ta voiture ? », « Margaux, tu pourrais garder mon petit-fils samedi ? »
Un samedi matin, alors que je profitais enfin d’une grasse matinée bien méritée, elle a frappé à ma porte avec insistance. J’ai ouvert en pyjama.
— Margaux ! Il faut absolument que tu viennes avec moi chez le médecin. Je ne peux pas y aller seule.
— Solange… Je suis désolée, mais j’avais prévu de me reposer aujourd’hui…
Son visage s’est fermé. « Je vois… Tu es comme les autres finalement. »
La culpabilité m’a envahie. J’ai attrapé mon manteau et je l’ai accompagnée.
Ce soir-là, j’ai appelé mon frère Paul.
— Tu te rends compte que tu n’as pas à tout accepter ? m’a-t-il dit. Tu as le droit de dire non.
Mais comment dire non sans blesser ? Comment poser des limites sans passer pour une mauvaise personne ?
Les semaines suivantes ont été un enfer. Solange s’est mise à parler de moi aux autres voisins : « Margaux n’est pas aussi gentille qu’elle en a l’air… » J’entendais des chuchotements dans l’escalier. J’avais l’impression d’être jugée par tout l’immeuble.
Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé un mot glissé sous ma porte : « Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Je n’ai plus besoin de ton aide. »
J’ai ressenti un mélange de soulagement et de tristesse. Avais-je été trop dure ? Ou bien avais-je enfin réussi à poser mes limites ?
Quelques jours plus tard, Solange a frappé à ma porte. Elle avait l’air fatiguée, mais apaisée.
— Margaux… Je voulais m’excuser. Je crois que j’ai un peu abusé de ta gentillesse.
J’ai souri timidement.
— Ce n’est pas grave… Mais j’ai compris que je devais apprendre à dire non.
Elle a hoché la tête.
— Tu sais… Ce n’est pas facile d’être seule à mon âge. Mais tu as raison : il faut savoir respecter les autres.
Depuis ce jour-là, nos relations sont devenues plus saines. Je continue parfois à rendre service à Solange, mais je n’accepte plus tout sans réfléchir. J’ai appris que poser des limites n’est pas un acte d’égoïsme, mais de respect – pour soi et pour les autres.
Parfois je me demande : combien d’entre nous osent vraiment dire non ? Et vous, jusqu’où iriez-vous pour aider un voisin… au risque de vous perdre vous-même ?