Le Génie de son propre malheur : Comment Françoise a tout saboté
« Tu ne comprends jamais rien, Camille ! » La voix de Françoise résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains, tentant de calmer le tremblement de mes doigts. Ce matin-là, tout a explosé à cause d’un simple gâteau au yaourt. Oui, un gâteau au yaourt. Mais avec Françoise, rien n’est jamais simple.
Depuis que Paul et moi avons emménagé dans la maison familiale à Suresnes, Françoise s’est installée chez nous « temporairement », après la mort de son mari. Mais ce temporaire dure depuis deux ans. Elle occupe la chambre d’amis, mais surtout, elle occupe tout l’espace : nos conversations, nos habitudes, nos silences. Elle s’immisce partout, avec cette façon bien à elle de tout compliquer.
Ce matin-là, elle a décidé qu’il fallait absolument préparer un gâteau pour l’anniversaire de Paul. Mais pas n’importe comment : « Il faut suivre ma recette, sinon il sera raté ! » J’ai osé ajouter un zeste de citron. Sacrilège. Elle a hurlé que je ne respectais rien, que je voulais « détruire la tradition familiale ». Paul est intervenu, tentant d’apaiser les choses :
— Maman, ce n’est qu’un gâteau…
— Ah ! Voilà ! Tu prends toujours sa défense !
Elle a claqué la porte du salon. Silence pesant. Paul m’a regardée, épuisé :
— Je suis désolé…
Mais ce n’était qu’un début. Avec Françoise, chaque détail devient une montagne. Elle s’invente des problèmes : la voisine qui « espionne », le facteur qui « vole le courrier », la mairie qui « complote » contre elle parce qu’on a refusé sa demande d’abattre le vieux tilleul du jardin.
Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Françoise assise dans le noir, les yeux rouges.
— Camille… Tu sais que Paul me cache des choses ?
J’ai soupiré :
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Il ne m’aime plus. Depuis que tu es là, il me rejette. Avant, on faisait tout ensemble…
J’ai tenté de lui expliquer qu’il était normal que Paul ait sa vie d’adulte. Mais elle s’est mise à pleurer plus fort :
— Tu me voles mon fils !
J’ai compris ce soir-là que rien ne serait jamais simple avec elle. Elle avait besoin d’être au centre de tout, quitte à inventer des drames pour exister.
Les semaines suivantes ont été un enchaînement de petites crises : la lessive « mal faite », les courses « mal rangées », la télécommande « toujours cachée ». Mais le pire restait à venir.
Un dimanche de juin, alors que nous recevions des amis pour un barbecue, Françoise a décidé de raconter à tout le monde que Paul avait failli rater son bac à cause de moi — alors que nous ne nous connaissions même pas à l’époque ! Les rires se sont figés. Paul a blêmi.
Après le départ des invités, il a explosé :
— Maman, pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu inventes des histoires ?
Elle s’est effondrée sur le canapé :
— Parce que je suis seule ! Vous m’avez laissée tomber !
Paul est sorti prendre l’air. Je suis restée là, face à elle. J’ai vu dans ses yeux une détresse sincère… mais aussi une satisfaction étrange d’avoir tout gâché.
Quelques jours plus tard, j’ai surpris une conversation téléphonique entre Françoise et sa sœur :
— Ils ne comprennent rien… Je fais tout pour eux et voilà comment on me remercie !
Sa sœur tentait de la raisonner :
— Peut-être que tu devrais leur laisser un peu d’espace…
Mais Françoise a coupé court :
— Non ! S’ils veulent la guerre, ils l’auront !
C’est là que j’ai compris : Françoise était prisonnière de ses propres pièges. Elle créait des conflits pour se sentir indispensable… puis se plaignait d’être rejetée.
La situation est devenue intenable. Paul et moi avons commencé à nous disputer à cause d’elle. Un soir, il m’a dit :
— Je ne sais plus quoi faire… C’est ma mère, mais elle nous détruit.
J’ai proposé une solution radicale : trouver un appartement pour Françoise, avec une aide à domicile. Paul a hésité longtemps. Mais après une énième crise — cette fois parce que j’avais acheté du beurre demi-sel au lieu du doux — il a accepté.
Le jour du déménagement, Françoise a fait une scène mémorable devant les voisins :
— Voilà ! On me jette dehors comme un chien ! Après tout ce que j’ai fait pour vous !
J’ai eu envie de crier… mais je me suis tue. Paul a pleuré en silence.
Aujourd’hui, Françoise vit seule dans un petit appartement à Boulogne-Billancourt. Elle appelle tous les jours pour se plaindre de la concierge ou du bruit des voisins. Mais chez nous, l’air est plus léger. Paul recommence à sourire.
Parfois je me demande : comment peut-on être à ce point l’artisan de son propre malheur ? Est-ce qu’on choisit vraiment la solitude… ou est-ce qu’on s’y condamne soi-même ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?