La demande inattendue : Chronique d’une nuit qui a tout changé

« Camille, tu vas vraiment partir avec lui ? » La voix de ma sœur, Élodie, tremble dans l’entrée de notre petit appartement du 11ème arrondissement. Je serre la poignée de la porte, mon cœur battant à tout rompre. Derrière moi, Julien attend, les mains dans les poches, le regard fuyant. Je sens le parfum de la pluie sur le bitume, la nuit encore jeune, pleine de promesses ou de regrets.

Tout a commencé quelques heures plus tôt. J’avais accepté d’accompagner mon amie Sophie à une soirée dans un bar à Bastille. J’étais fatiguée, lessivée par une semaine de boulot à la librairie, mais j’avais cédé à la pression : « Allez, Camille, tu ne vas pas rester enfermée un vendredi soir ! »

La musique était trop forte, les rires trop aigus. Je me sentais étrangère à cette foule qui semblait s’amuser sans effort. C’est là que je l’ai vu : Julien. Grand, brun, un sourire un peu triste. Il m’a offert un verre, puis deux. On a parlé littérature – il connaissait Romain Gary et Marguerite Duras –, on a ri de nos maladresses. Il m’a confié qu’il venait de quitter Bordeaux pour « recommencer sa vie » à Paris.

Vers deux heures du matin, alors que la pluie commençait à tomber dehors, il m’a proposé de marcher jusqu’à la Seine. On s’est abrités sous un porche, trempés mais heureux. C’est là qu’il m’a regardée droit dans les yeux :

— Camille… Tu crois au destin ?

J’ai ri nerveusement. Il a pris ma main.

— Je sais que c’est fou… Mais si on se mariait ? Ce soir. Toi et moi. On laisse tout derrière, on recommence ailleurs.

J’ai cru à une blague. Mais il était sérieux. Son regard brûlait d’une intensité qui m’a troublée. J’ai pensé à ma vie monotone, à mes rêves jamais réalisés, à cette sensation d’étouffer dans mon quotidien. J’ai dit oui.

On a couru sous la pluie jusqu’à chez moi pour que je prenne quelques affaires. C’est là qu’Élodie nous a surpris.

— Tu es folle ! Tu ne le connais même pas !

Je n’ai pas su quoi répondre. J’étais partagée entre l’excitation et la peur panique. Julien me pressait :

— Viens, on va rater le dernier train pour Lyon !

Dans le taxi, le silence s’est installé. Je regardais Paris défiler derrière la vitre embuée. Julien parlait déjà d’avenir : « On pourrait ouvrir une librairie ensemble… Ou partir en Provence… » Je sentais l’angoisse monter en moi.

Arrivés à la gare de Lyon, j’ai hésité sur le quai. Mon téléphone vibrait sans cesse – messages d’Élodie, de ma mère, même de mon patron. J’ai ignoré tout le monde.

Dans le train, Julien s’est endormi contre mon épaule. Je fixais les lumières qui défilaient dans la nuit noire. Qui étais-je pour accepter une telle folie ?

À l’aube, nous sommes arrivés à Lyon. Julien connaissait un hôtel miteux près de Perrache. Dans la chambre froide et impersonnelle, il m’a embrassée comme si nous étions déjà mariés. Mais je sentais une distance grandir entre nous.

Le lendemain matin, il a voulu aller à la mairie. J’ai prétexté un malaise pour gagner du temps. Il s’est énervé :

— Tu regrettes déjà ?

Je n’ai rien répondu. Je pensais à Élodie, à ma mère qui devait s’inquiéter à Paris.

Julien est sorti acheter des croissants. J’en ai profité pour appeler Élodie en larmes.

— Reviens, Camille… Ce n’est pas toi, ça !

Je me suis effondrée sur le lit défait. Comment avais-je pu croire qu’un inconnu pouvait me sauver de moi-même ?

Quand Julien est revenu, il a compris en voyant mes valises prêtes.

— Tu pars ?

J’ai hoché la tête en pleurant.

— Je suis désolée… Je croyais que je pouvais tout recommencer comme ça… Mais je dois d’abord apprendre à me connaître avant d’aimer quelqu’un d’autre.

Il n’a rien dit. Il est parti sans se retourner.

Je suis rentrée à Paris le cœur lourd mais soulagée. Élodie m’attendait à la gare avec un café brûlant et un sourire triste.

Depuis cette nuit-là, je me demande souvent : pourquoi ai-je cru qu’une fuite pouvait réparer mes blessures ? Est-ce qu’on peut vraiment aimer sans se connaître soi-même ? Peut-être que la vraie folie aurait été de ne rien tenter du tout… Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?