Il est revenu comme si de rien n’était : l’histoire de mon choix impossible
— Tu vas rester là longtemps à me regarder comme ça, Claire ?
Sa voix résonne dans l’entrée, familière et étrangère à la fois. Je serre la ceinture de mon peignoir, le cœur battant. Paul, mon mari, celui qui a vidé nos armoires il y a six mois pour s’installer chez Sophie — Sophie du service compta, celle qui riait trop fort à ses blagues lors des pots de fin d’année. Il est là, sur le seuil, avec sa valise et une bouteille de Bordeaux comme si c’était un samedi ordinaire.
Je n’ai pas bougé. Mon mascara coule encore sur mes joues, souvenir d’une nuit blanche passée à ressasser tout ce que j’aurais voulu lui dire. Il me regarde, un sourire gêné aux lèvres, comme s’il revenait d’acheter des croissants.
— Je peux entrer ?
Je ne réponds pas. Je pense à toutes ces fois où j’ai rêvé qu’il revienne, où j’ai imaginé nos retrouvailles, les excuses, les larmes. Mais là, rien. Juste ce vide immense et cette odeur de café froid dans l’appartement.
Il pose sa valise dans l’entrée sans attendre ma permission. Je le laisse faire, paralysée par la colère et la fatigue. Il s’avance dans le salon, regarde autour de lui comme s’il vérifiait que rien n’a changé.
— Tu as déplacé le canapé ?
Sa question me donne envie de hurler. Oui, j’ai déplacé le canapé. J’ai aussi jeté tes vieilles chemises et repeint la chambre en bleu nuit pour oublier tes mains sur elle. Mais je ne dis rien. Je m’assois sur le rebord du fauteuil, les bras croisés.
— Tu veux du café ?
Ma voix tremble. Il hoche la tête, s’installe à la table comme s’il n’était jamais parti. Je prépare deux tasses en silence. Le bruit de la cafetière couvre mes sanglots étouffés.
— Claire… Je suis désolé.
Je ris nerveusement.
— Désolé ? Tu crois que ça suffit ? Tu débarques ici après six mois et tu penses que tu peux juste… revenir ?
Il baisse les yeux. Je vois ses mains trembler légèrement. Il n’a jamais su gérer les conflits. C’est moi qui ai toujours pris sur moi, qui ai tout encaissé pour sauver les apparences devant nos amis, devant maman qui disait « Paul est un homme bien ».
— J’ai fait une erreur…
Je l’interromps :
— Une erreur ? Tu appelles ça une erreur ? Tu as tout détruit, Paul ! Tu m’as laissée seule avec nos dettes, avec les factures, avec les regards des voisins !
Il se lève brusquement, fait les cent pas dans le salon.
— Je sais… Je sais que j’ai merdé. Mais Sophie… Ce n’était pas ce que je croyais. Elle voulait juste… Je ne sais même pas ce qu’elle voulait. J’ai été idiot.
Je sens la colère monter en moi comme une vague brûlante.
— Et moi ? Tu t’es demandé ce que je voulais ?
Il s’arrête devant moi, les yeux brillants.
— Je veux qu’on recommence. Je veux réparer ce que j’ai cassé.
Un silence lourd s’installe. Je repense à ces soirs où je pleurais seule dans notre lit, à ces messages jamais envoyés, à cette solitude qui m’a rongée jusqu’à l’os. J’ai appris à vivre sans lui. J’ai même commencé à sourire à nouveau grâce à Camille, ma collègue qui m’a traînée au cinéma et au yoga pour m’empêcher de sombrer.
— Tu crois vraiment qu’on peut tout effacer ?
Il s’approche, pose sa main sur la mienne. Je la retire aussitôt.
— Claire… Je t’aime.
Je ferme les yeux. J’aurais voulu entendre ces mots il y a six mois. Aujourd’hui, ils sonnent creux.
— Tu sais ce que c’est, Paul ? Pendant que tu vivais ta nouvelle vie avec elle, moi je devais expliquer à ta mère pourquoi tu ne venais plus aux déjeuners du dimanche. J’ai dû affronter papa qui me disait que j’étais trop gentille, trop naïve…
Il soupire.
— Je suis désolé pour tout ça… Vraiment.
Je me lève brusquement.
— Tu veux qu’on recommence ? Très bien. Mais tu dors sur le canapé.
Il acquiesce sans discuter. Je le regarde installer ses affaires dans le salon, maladroitement, comme un enfant puni. La journée passe lentement. Nous évitons de nous croiser dans l’appartement minuscule. Le soir venu, je m’enferme dans la chambre et j’écoute sa respiration lourde derrière la porte.
Les jours suivants sont étranges. Il essaie de se rendre utile : il fait les courses, prépare le dîner, répare la fuite sous l’évier que j’avais laissée traîner par flemme ou par défiance envers la vie. Mais chaque geste me rappelle ce qu’il a brisé.
Un soir, alors que je rentre tard du travail, je trouve maman assise dans la cuisine avec lui. Elle me lance un regard lourd de reproches.
— Claire, il faut savoir pardonner dans la vie…
Je sens mes nerfs lâcher.
— Maman ! Ce n’est pas toi qui as été trahie !
Paul baisse la tête. Maman soupire et quitte la pièce en marmonnant quelque chose sur « les jeunes d’aujourd’hui ».
Je reste seule avec lui. Il me regarde avec une tristesse sincère.
— Je comprends si tu ne veux plus de moi… Mais laisse-moi au moins essayer de te prouver que j’ai changé.
Je ne réponds pas. J’ai envie de croire à ses mots mais une partie de moi hurle qu’il est trop tard.
Les semaines passent et rien ne change vraiment. Parfois il me fait rire comme avant ; parfois je le déteste d’être là. Un soir d’orage, alors que je regarde la pluie tomber sur Paris depuis notre balcon minuscule, il me rejoint en silence.
— Claire… Est-ce qu’on a encore une chance ?
Je reste muette longtemps avant de répondre :
— Je ne sais pas… Peut-être qu’on ne peut pas recoller tous les morceaux cassés.
Il pose sa main sur mon épaule et je ne la repousse pas cette fois-ci. Mais au fond de moi, je sens que rien ne sera plus jamais comme avant.
Est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’impardonnable ? Ou bien faut-il apprendre à se reconstruire seule ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?