La robe aux fleurs interdites : une soirée qui a tout changé

« Camille, tu ne peux pas entrer. » La voix sèche de Madame Lefèvre, la CPE, résonne encore dans mes oreilles. Je reste figée devant les portes du gymnase décoré de guirlandes dorées, ma robe à fleurs serrée contre moi comme un bouclier fragile. Derrière moi, les rires des autres élèves s’éloignent, indifférents à la scène qui se joue. Je sens mes joues brûler de honte et d’incompréhension.

« Mais pourquoi ? » Ma voix tremble. Je regarde Madame Lefèvre droit dans les yeux, espérant y lire une once de compassion.

Elle soupire, l’air fatigué : « Le règlement est clair, Camille. Les robes doivent être unies et ne pas attirer l’attention. Tu as été prévenue lors des réunions. »

Je serre les poings. Cette robe, c’est ma mère qui l’a cousue avec amour, passant des soirées entières à choisir chaque tissu, chaque motif. Elle voulait que je me sente belle, unique, pour mon premier bal de promo au lycée Jean-Moulin de Dijon. Et maintenant, on me punit pour ça ?

Je sors en courant, bousculant au passage un groupe de garçons en costume qui me regardent avec étonnement. Dehors, l’air frais me gifle le visage. Je m’effondre sur le trottoir, mes larmes brouillant les lumières de la ville. Je sors mon téléphone et compose le numéro d’Élodie.

« Allô ? Camille ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Sa voix douce me fait craquer. Entre deux sanglots, je lui explique tout. Elle s’indigne : « Mais c’est n’importe quoi ! Ta robe est magnifique ! Ils n’ont pas le droit… Tu veux que je vienne te chercher ? »

Je hoche la tête même si elle ne peut pas me voir. Quelques minutes plus tard, sa petite Clio grise s’arrête devant moi. Elle me serre fort dans ses bras.

« On va chez toi ? »

J’acquiesce. Le trajet se fait en silence, à peine troublé par le bruit des essuie-glaces et mes reniflements discrets.

À la maison, mes parents sont encore debout. Ma mère accourt en me voyant : « Ma chérie ! Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Je lui raconte tout, la voix brisée. Mon père serre les dents : « C’est une honte ! On va écrire au proviseur. »

Ma mère regarde ma robe comme si elle découvrait une arme du crime : « Ils t’ont renvoyée pour ça ? Mais… c’est absurde ! »

Les jours suivants sont un tourbillon d’émotions et de discussions familiales. Mon père veut contacter la presse locale ; ma mère hésite, craignant que cela ne me porte préjudice pour le bac. Moi, je me sens vide, trahie par une institution censée nous protéger.

Au lycée, les rumeurs vont bon train. Certains se moquent : « Fallait lire le règlement ! » D’autres me soutiennent discrètement : « T’as eu raison d’oser. » Mais personne n’ose vraiment s’opposer à Madame Lefèvre ou au proviseur.

Un soir, mon cousin Lucas m’appelle : « Camille, viens à mon bal la semaine prochaine à Besançon ! Ici, ils s’en fichent des robes fleuries ! »

J’hésite. J’ai peur d’être encore rejetée. Mais ma mère insiste : « Tu dois y aller. Montre-leur que tu n’as pas honte d’être toi-même. »

Le jour J, je remets ma robe à fleurs. Cette fois, c’est Lucas qui m’attend devant la salle des fêtes. Il me prend la main : « T’es prête ? »

À l’intérieur, personne ne me regarde de travers. Au contraire, plusieurs filles complimentent ma robe : « Elle est superbe ! Où l’as-tu trouvée ? »

Je danse toute la nuit, portée par une énergie nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens libre.

De retour à Dijon, ma mère reçoit une réponse du proviseur : « Nous comprenons votre déception mais le règlement doit être respecté par tous pour garantir l’égalité… »

Égalité ? Je repense à toutes ces filles en robes courtes ou décolletées qui sont entrées sans problème parce qu’elles étaient « discrètes » ou « populaires ». Où est l’égalité là-dedans ?

Un matin, je prends mon courage à deux mains et demande à intervenir lors du conseil de vie lycéenne.

« Je voudrais comprendre pourquoi une robe fleurie est considérée comme une provocation alors que d’autres tenues passent inaperçues ? Pourquoi ce besoin de nous uniformiser alors que le bal est censé célébrer notre singularité ? »

Le silence dans la salle est pesant. Madame Lefèvre détourne le regard. Quelques élèves hochent la tête timidement.

Après la réunion, Élodie me rejoint : « T’as été géniale ! Peut-être que ça fera bouger les choses… »

Peut-être… ou peut-être pas. Mais au moins j’aurai essayé.

Parfois je repense à cette soirée gâchée et je me demande : combien d’autres filles ont été blessées par des règles absurdes ? Combien d’entre nous ont renoncé à être elles-mêmes par peur du regard des autres ? Est-ce vraiment ça qu’on veut pour notre jeunesse ?