Week-ends chez les beaux-parents : Le repos impossible

— Thomas, tu peux venir m’aider à descendre la vieille armoire du grenier ?

La voix de Michel résonne dans le couloir, tranchante, impatiente. Je viens à peine de poser mon sac dans l’entrée que déjà, la lourdeur du week-end s’abat sur mes épaules. Hélène, elle, m’accueille d’un sourire pincé :

— Tu verras, on a plein de petites choses à faire, mais après, on se reposera tous ensemble !

Je me retiens de soupirer. Chaque vendredi soir, Claire, ma femme, me promet que cette fois-ci, ce sera différent. « On va juste passer un moment tranquille chez mes parents », me dit-elle. Mais dès que j’arrive dans leur pavillon de banlieue à Melun, la même scène se répète : je deviens l’homme à tout faire.

Samedi matin, 8h30. Je suis réveillé par le bruit de la tondeuse. Michel est déjà dehors, et je sais que je n’aurai pas droit à cinq minutes de plus sous la couette. Claire dort encore, insouciante. Je descends en traînant les pieds.

— Thomas ! Tu pourrais m’aider à tailler la haie ?

Je hoche la tête, résigné. Je n’ose pas refuser. Après tout, Michel m’a toujours fait sentir que je devais prouver ma valeur. Il ne m’a jamais vraiment accepté. Pour lui, je ne suis pas assez manuel, pas assez « homme ».

Les heures passent. Taille-haie, débroussailleuse, sacs de déchets verts à la déchetterie… Puis Hélène m’appelle depuis la cuisine :

— Thomas, tu pourrais monter le nouveau meuble pour la salle de bains ?

Je regarde Claire qui feuillette un magazine sur le canapé.

— Tu viens m’aider ?

Elle lève les yeux au ciel.

— Oh non, c’est toi qui es doué pour ça…

Je ravale ma colère. Je me sens seul contre tous. Même Claire ne voit pas ce que je vis ici. Pour elle, c’est normal d’aider ses parents. Mais moi ? J’ai l’impression d’être exploité.

À midi, je suis en sueur, les mains couvertes d’échardes. On s’installe à table. Michel me sert un verre de vin.

— Tu vois, avec un peu d’huile de coude, on arrive à tout !

Je souris faiblement. Je voudrais lui dire que j’ai aussi une semaine de boulot derrière moi, que j’aimerais juste souffler. Mais je me tais.

L’après-midi, rebelote : il faut réparer la clôture du jardin. Puis déplacer des cartons dans le garage. Hélène me demande ensuite de l’accompagner au supermarché pour porter les courses.

Le soir venu, je suis vidé. Claire me reproche mon manque d’enthousiasme.

— Tu pourrais faire un effort… Mes parents sont contents de nous avoir.

Je sens la colère monter.

— Tu trouves ça normal qu’on vienne ici pour bosser tout le week-end ? On ne fait jamais rien pour nous !

Elle hausse les épaules.

— C’est comme ça en famille…

Je me couche avec un poids sur la poitrine. Je repense à mes propres parents, qui ne me demandent jamais rien quand je leur rends visite. Pourquoi dois-je subir ça ici ?

Le dimanche matin, rebelote : Michel veut repeindre le portail. Je n’en peux plus. Je fais semblant d’avoir mal au dos pour esquiver la corvée. Hélène me regarde avec suspicion.

— Tu n’es pas très courageux ce week-end…

Je me sens humilié. Claire ne prend pas ma défense.

Dans la voiture du retour, le silence est lourd. Claire finit par lâcher :

— Tu pourrais faire un effort pour t’intégrer…

Je serre le volant jusqu’à en avoir mal aux mains.

Les semaines passent et rien ne change. Chaque vendredi soir est une angoisse. J’invente des excuses pour éviter d’y aller : « J’ai trop de travail », « Je suis malade ». Mais Claire insiste toujours.

Un samedi soir, après une journée particulièrement éprouvante — Michel m’a fait démonter une cabane entière sous la pluie — je craque.

— Je n’irai plus chez tes parents tant que ça sera comme ça ! Ce n’est pas une vie !

Claire me regarde avec des yeux ronds.

— Tu exagères… Ils t’aiment bien !

Je ris jaune.

— S’ils m’aimaient vraiment, ils me laisseraient tranquille au moins un week-end…

Le conflit éclate. Claire menace de partir seule chez ses parents dorénavant. Je sens notre couple vaciller sur ce point de rupture invisible mais si réel.

Je me demande : combien sommes-nous à vivre ces week-ends imposés ? À devoir choisir entre notre couple et la pression familiale ? Est-ce vraiment ça, la famille ? Ou juste une habitude dont personne n’ose se libérer ?