Un nouveau souffle : Comment j’ai reconstruit ma vie après avoir quitté la maison de ma belle-mère
— Tu comptes encore rentrer à cette heure-ci ?
La voix de ma belle-mère, Monique, résonne dans le couloir sombre de l’appartement. Il est 19h42, je viens de finir une longue journée à l’hôpital de Lille où je suis infirmière. Je pose mon sac, les mains tremblantes. Laurent, mon mari, n’est pas encore rentré. Je sens déjà la tension monter dans ma poitrine.
— Je suis désolée, Monique, il y avait une urgence ce soir…
Elle me coupe, le regard dur :
— Toujours des excuses. Tu sais, ici, on dîne à 19h. Ce n’est pas l’hôtel.
Je ravale mes larmes. Cela fait sept ans que nous vivons chez elle, depuis que Laurent a perdu son emploi dans l’industrie automobile et que nous n’avons pas eu d’autre choix que de revenir dans son appartement HLM à Roubaix. Au début, je pensais que ce serait temporaire. Mais les mois sont devenus des années. Et chaque jour, je me sens un peu plus étrangère dans ma propre vie.
Le soir, dans notre minuscule chambre, Laurent tente de me rassurer :
— Elle est fatiguée, tu sais comment elle est… On va s’en sortir, je te promets.
Mais je sens qu’il doute lui aussi. Sa mère a toujours eu une emprise sur lui. Elle décide de tout : ce qu’on mange, quand on fait la lessive, même la couleur des rideaux. Je n’ai plus d’espace à moi. Même mon parfum sur la commode disparaît mystérieusement parfois.
Un dimanche matin, alors que je prépare un café en silence, Monique entre dans la cuisine et lance :
— Tu pourrais au moins faire un effort pour tomber enceinte. À ton âge…
Je serre la tasse si fort que j’ai peur qu’elle explose. J’ai 34 ans. Nous essayons depuis deux ans d’avoir un enfant, mais rien ne vient. Les remarques de Monique sont des coups de poignard.
Ce jour-là, j’explose :
— Ce n’est pas à vous de décider ! Ce n’est pas votre vie !
Laurent arrive en courant, alerté par les cris. Il tente de calmer sa mère, mais elle fond en larmes et s’enferme dans sa chambre. Laurent me regarde avec tristesse.
— Tu sais bien qu’elle ne changera jamais…
Je me sens coupable et soulagée à la fois. Mais quelque chose a changé en moi ce matin-là. Je ne peux plus continuer ainsi.
Les semaines passent. Je dors mal, je fais des crises d’angoisse au travail. Un soir, alors que je rentre plus tard que d’habitude, je trouve mes affaires entassées dans un sac plastique devant la porte de notre chambre.
— Puisque tu ne veux pas faire d’efforts, va-t’en !
Monique hurle depuis le salon. Laurent est absent. Je m’effondre dans l’escalier.
Le lendemain matin, Laurent me retrouve chez ma sœur à Tourcoing. Il est pâle, les yeux cernés.
— On ne peut pas continuer comme ça…
Pour la première fois depuis des années, il prend ma main et dit :
— On part. On trouvera un studio, un garage s’il le faut. Mais on part.
Nous avons trouvé un petit deux-pièces à Villeneuve-d’Ascq grâce à une collègue qui partait à l’étranger. Le premier soir dans notre nouveau chez-nous, nous avons mangé des pâtes froides sur des cartons. J’ai pleuré de soulagement.
Mais tout n’a pas été simple. Laurent culpabilisait d’avoir « abandonné » sa mère. Elle appelait tous les jours, parfois en pleine nuit.
— Tu m’as laissée seule ! Tu préfères ta femme à ta propre mère ?
Je voyais Laurent se refermer peu à peu. Il devenait irritable, distant. Un soir, il a claqué la porte après une dispute et n’est pas rentré avant l’aube.
J’ai cru que notre couple n’y survivrait pas.
Mais petit à petit, nous avons appris à vivre ensemble autrement. Nous avons posé des limites : plus d’appels après 21h, plus de visites surprises. Nous avons commencé une thérapie de couple au centre social du quartier.
Un matin d’automne, alors que je préparais le petit-déjeuner, Laurent m’a regardée longuement et m’a dit :
— Merci d’avoir tenu bon… Je crois qu’on commence enfin à vivre pour nous.
Aujourd’hui, cela fait deux ans que nous avons quitté Monique. Notre couple est plus fort, même si les blessures restent vives. Nous n’avons toujours pas d’enfant, mais nous avons retrouvé notre intimité et notre liberté.
Parfois je me demande : combien de femmes vivent encore sous le joug d’une belle-mère ou d’une famille envahissante ? Combien osent dire stop ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?