Sous le même toit, entre la foi et la casserole : Mon combat pour nourrir Camille
« Encore des pâtes ? Tu ne sais vraiment rien faire d’autre, maman ? » La voix de Camille résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée de la casserole, les jointures blanchies par la tension. Il est 19h12, la pluie tambourine contre les vitres de notre petit appartement à Nantes, et je sens mes nerfs prêts à céder.
Camille a dix ans, une moue boudeuse et des goûts alimentaires aussi capricieux que le climat breton. Depuis la séparation avec son père, elle refuse tout ce qui n’est pas pâtes ou nuggets. J’ai tout essayé : les légumes cachés dans la purée, les gratins déguisés en lasagnes, même les petits dessins dans l’assiette. Rien n’y fait. Chaque repas est une épreuve, chaque dîner une négociation sans fin.
Ce soir-là, je me suis effondrée sur le carrelage froid de la cuisine. Les larmes coulaient sans bruit. Je me sentais nulle, incapable de nourrir mon enfant correctement. « Seigneur, aide-moi… » ai-je murmuré, presque sans y croire. Ce n’était pas une prière apprise à l’église, juste un cri du cœur, un appel à l’aide lancé dans le vide.
Le lendemain matin, en préparant le petit-déjeuner, j’ai repensé à cette prière. Peut-être que Dieu ne me donnerait pas une recette miracle, mais peut-être qu’Il pouvait m’apporter un peu de paix. J’ai décidé d’essayer autrement : au lieu de me focaliser sur ce que Camille refusait, j’allais célébrer chaque petite victoire. Une cuillère de carottes râpées acceptée ? Victoire. Un morceau de poisson avalé sans grimace ? Victoire.
Mais le chemin était loin d’être facile. Un samedi midi, alors que je tentais une quiche aux courgettes – « juste une bouchée pour me faire plaisir », avais-je supplié – Camille a repoussé son assiette avec violence. « Tu veux toujours que je mange des trucs bizarres ! Pourquoi tu ne peux pas être comme les autres mamans ? » J’ai senti la colère monter, mais aussi une tristesse immense. Je me suis enfermée dans la salle de bains et j’ai prié encore : « Donne-moi la patience… »
Ma mère, Françoise, m’appelait souvent pour prendre des nouvelles. Elle me disait : « Tu sais, ma chérie, il faut du temps. Moi aussi j’ai galéré avec toi et ton frère ! » Mais elle n’avait jamais connu cette solitude-là : cuisiner seule chaque soir, sans relais ni épaule sur laquelle s’appuyer.
Un soir de tempête, alors que l’électricité avait sauté dans tout l’immeuble, Camille et moi avons dîné à la lueur des bougies. J’avais improvisé des tartines avec ce qu’il restait : fromage frais, tomates cerises et un peu de jambon. Contre toute attente, Camille a croqué dans sa tartine et m’a souri : « C’est pas mal comme pique-nique ! » J’ai senti une chaleur m’envahir – était-ce ça, la réponse à ma prière ? Un moment simple, sans cris ni larmes.
Petit à petit, j’ai appris à lâcher prise. J’ai arrêté de me comparer aux autres mères du groupe WhatsApp qui postaient des photos de bentos colorés et de gâteaux faits maison. J’ai commencé à remercier Dieu pour chaque repas partagé sans conflit.
Un dimanche matin à l’église Saint-Clément, le curé a parlé du pain quotidien dans son homélie : « Ce n’est pas seulement le pain qui nourrit le corps, mais aussi celui qui nourrit le cœur. » J’ai compris alors que ma mission n’était pas seulement de remplir l’estomac de Camille, mais aussi de lui transmettre l’amour et la patience.
Bien sûr, il y a encore des soirs où tout dérape. Comme ce mardi où Camille a jeté son assiette par terre en hurlant qu’elle détestait les épinards. J’ai failli crier aussi. Mais au lieu de ça, j’ai fermé les yeux et prié en silence : « Aide-moi à rester calme… » Puis je me suis assise à côté d’elle et nous avons parlé – vraiment parlé – de ce qui lui faisait peur dans les nouveaux aliments, de ce qui lui manquait depuis le départ de son père.
Peu à peu, nos repas sont devenus des moments d’échange plutôt que des champs de bataille. Nous avons instauré un rituel : chaque soir, avant de manger, nous faisons une petite prière ensemble – parfois sérieuse, parfois pleine d’humour (« Merci Seigneur pour les coquillettes et pour que maman ne mette pas trop de légumes ! »). Cela nous rapproche.
Aujourd’hui encore, je doute souvent. Suis-je une bonne mère ? Est-ce que je fais assez ? Mais je sais maintenant que je ne suis pas seule dans cette cuisine minuscule où chaque repas est un défi. La foi ne m’a pas donné toutes les réponses, mais elle m’a offert la force d’avancer un jour après l’autre.
Et vous ? Avez-vous déjà eu l’impression d’être seul(e) face à vos défis quotidiens ? Comment trouvez-vous la paix au milieu du chaos familial ?