Quand Paul m’a dit de partir : Seule dans mon mariage – Confession de Claire

« Va chez ta mère, Claire. J’ai besoin d’être seul. »

La voix de Paul résonne encore dans ma tête, sèche, tranchante comme une lame. Il est presque minuit, la pluie martèle les vitres de notre appartement à Nantes. Marceau, notre petit garçon de trois ans, s’accroche à ma jambe, les joues trempées de larmes. Je reste figée, incapable de comprendre comment on en est arrivé là. Comment peut-on être aussi seule alors qu’on partage le même lit, la même vie ?

Je ramasse en silence le doudou de Marceau, j’enfile un manteau sur mon pyjama et je sors dans la nuit. L’ascenseur est en panne, bien sûr. Je descends les quatre étages avec Marceau endormi sur mon épaule, chaque marche résonne comme un coup de tonnerre dans ma poitrine. Ma mère habite à l’autre bout de la ville. Je n’ai pas de voiture, il pleut à verse, mais je n’ai pas le choix.

Dans le bus de nuit, Marceau se réveille en sursaut. « Maman, pourquoi on part ? » Je n’ai pas de réponse. Je voudrais lui dire que tout va bien, que papa et maman s’aiment encore, mais je n’y crois plus moi-même.

Ma mère ouvre la porte en peignoir, les yeux cernés d’inquiétude. Elle ne pose pas de questions. Elle me serre fort contre elle, comme quand j’étais petite et que j’avais peur du noir. Marceau s’endort dans ses bras. Moi, je reste éveillée toute la nuit, à fixer le plafond, à ressasser chaque dispute, chaque silence qui s’est installé entre Paul et moi.

Le lendemain matin, je reçois un message : « Prends le temps qu’il te faut. » Rien d’autre. Pas un mot pour Marceau. Pas une excuse. Je me sens vidée, trahie, invisible.

Les jours suivants sont un mélange d’humiliation et de soulagement. Ma mère me prépare des tartines comme quand j’étais enfant. Elle ne dit rien sur Paul, mais je sens son jugement dans chaque regard. Mon père, lui, fait semblant de ne rien voir. Il part au travail plus tôt que d’habitude.

Je croise des voisins dans l’escalier qui me demandent si tout va bien. Je souris, je mens : « Oui, juste un petit souci avec l’appartement… » Mais au fond de moi, je me demande si je ne suis pas en train de tout perdre.

Paul ne donne pas de nouvelles pendant trois jours. Je me surprends à vérifier mon téléphone toutes les cinq minutes. J’imagine qu’il va débarquer en s’excusant, qu’il va me supplier de rentrer. Mais non. Le silence est assourdissant.

Le quatrième jour, il m’appelle enfin :
— Tu comptes rentrer quand ?
Sa voix est froide.
— Je ne sais pas… Quand tu seras prêt à parler.
— J’ai besoin d’espace, Claire. Tu comprends ça ?
Je raccroche en pleurant.

Ma mère me trouve dans la cuisine, effondrée sur la table.
— Tu ne peux pas continuer comme ça, ma chérie. Tu dois penser à toi… et à Marceau.
Mais comment penser à moi quand tout ce que je voulais, c’était une famille ?

Les semaines passent. Je reprends le travail à la médiathèque du quartier. Les collègues me demandent si tout va bien à la maison. Je souris encore une fois. Marceau commence à poser des questions plus précises :
— Papa il vient quand ?
Je lui invente des histoires : « Papa travaille beaucoup en ce moment… »
Mais il n’est pas dupe.

Un soir, alors que je couche Marceau, il me regarde avec ses grands yeux tristes :
— Maman, tu pleures ?
Je secoue la tête mais il sait tout.

Je commence à écrire dans un carnet tout ce que je ressens : la colère contre Paul, la honte d’être revenue chez mes parents à trente-deux ans, la peur du lendemain. J’écris aussi mes souvenirs heureux : notre mariage sous le soleil de Bretagne, la naissance de Marceau… Où est passée cette tendresse ?

Un samedi matin, Paul débarque sans prévenir chez mes parents. Il veut voir Marceau. Ma mère lui lance un regard glacial mais le laisse entrer.
— On peut parler ?
Je sens la tension monter dans la pièce.
— Parler de quoi ? De comment tu nous as mis dehors ?
Il baisse les yeux.
— Je suis désolé… J’étais dépassé… Le boulot… Tout ça…
Je voudrais hurler mais je me retiens pour Marceau qui joue dans sa chambre.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que j’ai choisi cette vie-là ?
Il se tait. On reste là, face à face, deux étrangers qui se sont aimés autrefois.

Après son départ, ma mère me prend la main :
— Tu dois décider ce que tu veux vraiment. Pas pour lui. Pour toi.
Mais comment savoir ce que je veux quand tout s’effondre autour de moi ?

Les semaines deviennent des mois. Paul propose une thérapie de couple mais j’hésite. Est-ce que ça vaut encore la peine ? Est-ce qu’on peut recoller les morceaux ou est-ce qu’on se ment juste pour ne pas affronter la vérité ?

Un soir d’automne, alors que Marceau dort paisiblement et que la pluie recommence à tomber sur les vitres, je relis mes carnets et je me pose cette question :

Est-ce qu’on peut vraiment être heureux à deux si on se sent si seul ? Ou vaut-il mieux affronter la solitude pour retrouver enfin qui l’on est vraiment ?