Quand la famille vacille : Entre la belle-mère et moi, qui compte vraiment ?
« Non, je ne peux pas aujourd’hui. J’ai mon atelier de peinture avec les dames du quartier. »
La voix de Madeleine, ma belle-mère, résonne encore dans ma tête. Je serre le combiné un peu plus fort, comme si la pression de mes doigts pouvait changer sa réponse. Les enfants, Lucie et Paul, m’observent avec leurs grands yeux pleins d’espoir. Ils adorent leur grand-mère. Moi aussi, je l’aimais bien, avant ce matin.
Je raccroche sans rien dire de plus. Eric entre dans la cuisine, son éternel sourire aux lèvres. « Alors, maman vient ? »
Je secoue la tête. « Elle a… autre chose à faire. »
Il soupire, mais je vois bien qu’il n’est pas fâché. Il ne l’est jamais contre elle. Depuis la mort de son père, il est devenu son pilier, son confident, son homme à tout faire. Je comprends, vraiment. Mais parfois, j’aimerais qu’il soit aussi le mien.
Aujourd’hui, j’avais un entretien d’embauche. Mon premier depuis des années. Après avoir mis ma carrière entre parenthèses pour élever nos enfants, j’espérais enfin retrouver un peu de moi-même. Mais la nounou est tombée malade ce matin et je n’ai personne d’autre.
« Tu ne peux pas poser ta matinée ? » je demande à Eric, la voix tremblante.
Il me regarde comme si je venais de lui demander l’impossible. « Tu sais bien que j’ai cette réunion avec le directeur régional… »
Je ravale mes larmes. Je ne veux pas pleurer devant les enfants. Je les serre contre moi et leur murmure : « On va faire un gâteau, d’accord ? »
Mais Lucie insiste : « Pourquoi Mamie ne vient pas ? Elle avait promis ! »
Je n’ai pas de réponse. Je me sens trahie, abandonnée par celle qui se vante toujours d’être une grand-mère exemplaire. J’en veux à Eric aussi, pour sa loyauté aveugle envers sa mère.
Le soir venu, la tension est palpable à table. Les enfants boudent leur assiette. Eric tente de détendre l’atmosphère : « On pourrait aller chez Maman dimanche prochain ? Elle a envie de vous voir. »
Je n’en peux plus. « Elle avait envie de les voir aujourd’hui aussi, mais elle a préféré ses copines et ses pinceaux à ses petits-enfants ! »
Eric me lance un regard noir. « Ce n’est pas juste… Elle a le droit d’avoir une vie ! »
Je me lève brusquement. « Et moi ? J’ai le droit d’avoir une vie ? Ou je dois juste tout sacrifier parce que ta mère passe avant nous tous ? »
Un silence glacial s’abat sur la pièce. Paul se met à pleurer doucement. Je m’en veux aussitôt, mais c’est plus fort que moi.
Plus tard dans la soirée, alors que les enfants dorment enfin, Eric vient me retrouver dans notre chambre.
« Tu sais que Maman ne voulait pas te blesser… Elle est fatiguée aussi depuis Papa… »
Je le coupe : « Et moi alors ? Tu crois que c’est facile d’être seule toute la journée avec les enfants ? De mettre mes rêves de côté parce que personne ne peut m’aider ? »
Il baisse les yeux. « Je suis désolé… Je n’ai pas pensé… »
Je sens mes larmes couler sans pouvoir les arrêter. « J’ai besoin de toi, Eric. Pas seulement comme père ou mari, mais comme partenaire. J’ai besoin que tu comprennes que ma vie compte aussi. »
Il me prend la main, maladroitement. « Je vais essayer… »
Mais au fond de moi, je doute. Est-ce qu’il saura vraiment choisir entre sa mère et moi si un jour il le faut ? Est-ce que je dois continuer à me battre pour une place qui ne sera jamais vraiment la mienne dans cette famille ?
Le lendemain matin, Madeleine m’appelle. Sa voix est douce, presque coupable.
« Ma chérie… Je suis désolée pour hier. J’avais besoin de penser à autre chose qu’à la maison et aux soucis… Mais je comprends si tu m’en veux. »
Je respire profondément avant de répondre : « J’aurais juste aimé que tu tiennes ta promesse pour les enfants… et pour moi aussi. »
Un silence gênant s’installe.
« Tu sais… Depuis que Jacques est parti, j’ai du mal à trouver ma place aussi », avoue-t-elle enfin.
Je sens ma colère retomber un peu. Peut-être qu’on est toutes les deux perdues dans cette famille qui ne ressemble plus à rien.
Ce soir-là, Eric rentre plus tôt et propose qu’on sorte tous ensemble au parc. Pour la première fois depuis longtemps, j’accepte sans hésiter.
Mais au fond de moi, une question me hante : Combien de temps encore vais-je devoir lutter pour exister entre une mère et son fils ? Est-ce qu’on peut vraiment être heureuse quand on se sent toujours en second plan ?