« Puisque je gagne plus, je ne ferai rien d’autre » : l’histoire de mon mariage qui s’effondre
— Tu veux que je fasse quoi, exactement ? Je travaille dix heures par jour, Claire. Je ramène l’argent, c’est déjà pas mal, non ?
La voix de Julien résonne encore dans la cuisine. Il est 21h30, les enfants dorment enfin, et je suis debout devant l’évier, les mains plongées dans l’eau tiède. Je sens mes épaules se crisper. J’ai envie de hurler, mais je me retiens. C’est toujours la même scène depuis des mois. Je fais la vaisselle, je range les jouets, je prépare les affaires pour l’école du lendemain… Pendant que lui, il s’affale sur le canapé avec son ordinateur portable, prétextant une urgence professionnelle.
Pourtant, ce n’était pas comme ça avant. Quand on s’est rencontrés à la fac à Lyon, on rêvait d’un avenir égalitaire. On partageait tout : les courses, les sorties, les galères d’étudiants. On riait de nos petits boulots mal payés et on se promettait que jamais l’argent ne viendrait gâcher notre complicité. Mais aujourd’hui, dix ans plus tard, tout semble avoir basculé.
Julien a eu une promotion il y a deux ans. Il est devenu responsable commercial dans une grande entreprise à Grenoble. Son salaire a doublé. Moi, je suis restée professeure des écoles dans notre petite ville de la Drôme. J’aime mon métier, mais il ne rapporte pas grand-chose. Depuis cette promotion, Julien a changé. Il rentre tard, fatigué, et il ne fait plus rien à la maison. Il répète sans cesse :
— Je gagne plus que toi, c’est normal que tu t’occupes du reste.
Au début, j’ai cru que c’était passager. Mais ce soir-là, devant l’évier, j’ai compris que c’était devenu sa vérité.
— Tu crois que c’est juste ?
Ma voix tremble un peu. Il ne me regarde même pas.
— C’est comme ça dans toutes les familles. Arrête de te plaindre.
Je sens la colère monter. Je pense à mes amies : Sophie qui élève seule ses deux enfants après un divorce difficile ; Amélie qui se bat pour faire reconnaître son travail à la maison ; ma sœur Lucie qui jongle entre trois jobs précaires… Pourquoi est-ce toujours aux femmes de tout porter ?
Le lendemain matin, je me réveille avant tout le monde. Je prépare le petit-déjeuner en silence. Les enfants descendent en pyjama, les yeux encore collés de sommeil.
— Maman, tu viens jouer avec nous ?
Je souris faiblement.
— Dans cinq minutes, mes chéris.
Julien descend à son tour, déjà pressé.
— J’ai une réunion tôt ce matin. Tu peux déposer les enfants ?
Je hoche la tête sans répondre. C’est toujours moi qui gère les imprévus.
Sur le chemin de l’école, je repense à notre vie d’avant. Aux vacances improvisées en Bretagne, aux soirées pizzas devant un film… Où est passé ce bonheur simple ?
Le soir même, j’ose aborder le sujet avec lui.
— Julien, on ne peut pas continuer comme ça. J’ai besoin que tu participes plus à la maison.
Il soupire bruyamment.
— Claire… Je te l’ai déjà dit : je n’ai pas le temps. Et puis tu travailles moins que moi !
— Mais tu crois que c’est facile de tout gérer ? Les devoirs, les lessives, les rendez-vous chez le médecin… Tu crois que ça se fait tout seul ?
Il hausse les épaules.
— Si tu veux qu’on prenne une femme de ménage, on peut en discuter. Mais moi, je ne peux pas faire plus.
Je sens mes yeux s’embuer. Ce n’est pas d’une femme de ménage dont j’ai besoin. C’est de lui.
Les semaines passent et rien ne change. Je m’épuise à tout porter seule. Je deviens irritable avec les enfants. Un soir, mon fils Paul me demande :
— Maman, pourquoi tu cries tout le temps ?
Je fonds en larmes devant lui. Il me serre dans ses bras comme il peut.
Un dimanche matin, alors que Julien lit le journal au salon et que je plie le linge dans la chambre des enfants, ma mère m’appelle.
— Claire, tu ne peux pas continuer comme ça. Tu vas tomber malade.
Sa voix tremble d’inquiétude. Elle a connu la même chose avec mon père autrefois. Elle a fini par divorcer après vingt-cinq ans de mariage.
— Tu sais maman… J’ai peur de tout gâcher pour les enfants.
— Ce n’est pas toi qui gâches quoi que ce soit. Tu as le droit d’exiger du respect.
Ses mots résonnent en moi toute la journée.
Le soir venu, j’affronte Julien une dernière fois.
— Julien… Si tu refuses de changer, je ne pourrai plus continuer comme ça. Je ne veux pas que nos enfants grandissent en pensant qu’une femme doit tout sacrifier parce qu’elle gagne moins.
Il me regarde enfin dans les yeux. Pour la première fois depuis longtemps, il semble déstabilisé.
— Tu veux vraiment qu’on en arrive là ?
Je prends une grande inspiration.
— Je veux juste qu’on redevienne une équipe. Pas des adversaires qui comptent les points.
Un silence lourd s’installe entre nous. Je sens que quelque chose vient de se briser… ou peut-être de commencer à se réparer.
Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Mais je refuse d’accepter une vie où l’argent décide de qui a le droit d’être fatigué ou heureux.
Est-ce vraiment ça, l’amour après dix ans de mariage ? Est-ce qu’on peut encore retrouver le respect et l’égalité quand tout semble perdu ? Qu’en pensez-vous ?