Pourquoi devrais-je me soucier de mon âge ? – Mon cri contre les diktats de la beauté

— Madame, vous avez déjà pensé à faire quelque chose pour vos rides ?

La voix m’a frappée comme une gifle alors que je traînais ma valise dans le hall bondé de Roissy. Je me suis figée, le cœur battant. Devant moi, une jeune femme en tailleur impeccable, badge « Chloé – Conseillère beauté » épinglé sur la poitrine, me souriait d’un air entendu. J’ai senti mes joues chauffer. J’avais à peine eu le temps de rentrer de Lyon pour voir mes enfants que déjà, on me rappelait que, du haut de mes 48 ans, je n’étais plus tout à fait « présentable ».

— Pardon ? ai-je balbutié, prise au dépourvu.

Chloé a poursuivi, implacable :

— Vous savez, il existe des soins révolutionnaires pour atténuer les signes du temps. On a toutes envie de rester jeune, non ?

J’ai senti la colère monter. Non, je n’avais pas envie de rester jeune à tout prix. J’avais envie d’être moi, avec mes rides, mes cernes et mes souvenirs. Mais comment le dire sans passer pour une femme aigrie ou négligée ?

Sur le chemin du retour, dans le RER B, j’ai ruminé cette scène. J’ai repensé à ma mère qui, à 70 ans, refusait de sortir sans maquillage. À ma fille, Lucie, 16 ans, qui passait des heures devant le miroir à traquer le moindre bouton. Et à moi, Camille Lefèvre, cadre dans une grande entreprise parisienne, qui jonglait entre réunions, devoirs du soir et injonctions à « rester fraîche ».

En rentrant chez moi à Montreuil, j’ai trouvé mon mari, François, absorbé par son ordinateur.

— Tu as l’air fatiguée, m’a-t-il lancé sans lever les yeux.

Encore une remarque sur mon apparence. J’ai explosé :

— Tu sais ce qu’on m’a dit à l’aéroport ? Que je devrais faire quelque chose pour mes rides !

Il a haussé les épaules :

— C’est leur boulot de vendre des crèmes…

Mais ce n’était pas qu’une question de crèmes. C’était tout un système qui me pesait. Cette obsession collective pour la jeunesse éternelle. Cette peur panique de vieillir qui nous rongeait tous.

J’ai pris mon téléphone et, dans un élan de révolte, j’ai posté sur Instagram :

« Pourquoi devrais-je me soucier de mon âge ? Pourquoi devrais-je cacher mes rides comme si elles étaient honteuses ? Je suis fatiguée qu’on me dise comment être belle. »

Je ne m’attendais pas à ce que mon message devienne viral. En quelques heures, des centaines de femmes – et d’hommes – ont partagé leurs propres histoires. Certaines m’ont remerciée d’avoir osé parler. D’autres m’ont critiquée :

— C’est facile pour toi, tu es encore jolie !
— Vieillir n’est pas une excuse pour se laisser aller…
— Les femmes comme toi donnent une mauvaise image de la France !

Le lendemain matin, Lucie est venue me voir, téléphone à la main.

— Maman… tu es partout sur Twitter !

Elle avait l’air inquiète.

— Tu n’as pas peur que ça te porte préjudice au travail ?

J’ai hésité. Oui, j’avais peur. Peur d’être cataloguée comme « celle qui râle », peur que mes collègues se moquent de moi à la machine à café. Mais j’étais aussi fière d’avoir ouvert un débat nécessaire.

Au bureau, l’ambiance était électrique. Ma collègue Sophie m’a glissé à l’oreille :

— Tu as vu les commentaires ? Certains disent que tu exagères…

Je lui ai répondu :

— Peut-être. Mais si on ne dit rien, rien ne change.

Le soir même, ma mère m’a appelée.

— Camille… tu n’as pas honte de t’exposer comme ça ? À notre époque, on gardait ces choses pour soi.

J’ai senti la tristesse dans sa voix. Elle avait passé sa vie à se conformer aux attentes des autres. Moi aussi, jusqu’à aujourd’hui.

Les jours suivants ont été un tourbillon. J’ai reçu des invitations à des émissions de radio, des messages de soutien mais aussi des insultes anonymes. François s’est renfermé ; il n’aimait pas cette soudaine notoriété.

Un soir, alors que je préparais le dîner en silence, Lucie a posé sa main sur la mienne.

— Maman… tu sais que je t’admire ? Tu me montres qu’on peut dire non.

Ses mots m’ont bouleversée. Peut-être que tout ça en valait la peine.

Mais au fond de moi subsistait une question lancinante : pourquoi notre société refuse-t-elle d’accepter le temps qui passe ? Pourquoi tant de femmes – et d’hommes – vivent-ils dans la honte de vieillir ?

Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce à moi de changer pour plaire aux autres ou à la société d’apprendre à aimer ses rides ? Et vous… qu’en pensez-vous vraiment ?