Mon voisin pense que je nourrirai toujours son enfant : comment lui dire que c’est fini ?
« Tu peux encore garder Hugo ce soir ? Je finis tard au boulot… »
La voix de Sandrine résonne dans le couloir, un peu essoufflée, un peu coupable, mais surtout pressée. Je regarde l’horloge : 18h45. Mon gratin de courgettes est au four, la table est mise pour deux. Deux, pas trois. Je soupire intérieurement, mais je souris, comme d’habitude.
« Bien sûr, Sandrine. »
Hugo, sept ans, débarque dans mon salon comme une tornade. Il enlève ses baskets, pose son cartable dans l’entrée et file allumer la télé. Je me sens partagée : j’aime ce gamin, il est drôle et attachant. Mais ce n’est pas mon fils. Et ce n’est pas la première fois que Sandrine me laisse gérer son dîner, ses devoirs, son coucher parfois.
Je vis seule depuis mon divorce avec Antoine. Pas d’enfants, pas de famille proche. J’ai cru que rendre service à Sandrine m’aiderait à combler le silence de mon appartement. Mais ce soir, alors que je sers le gratin et que Hugo râle parce qu’il préfère les pâtes, je sens la colère monter. Pourquoi est-ce toujours moi ?
Après le repas, Hugo s’installe devant « Les Mystères de l’Amour ». Je débarrasse en silence. J’entends les rires enregistrés de la série et je me demande si Sandrine pense à moi, à ce que ça me coûte. Pas seulement le repas, mais l’énergie, la disponibilité, la place que je laisse à son fils dans ma vie.
À 21h15, Sandrine frappe enfin à la porte. Elle a l’air épuisée, ses cheveux sont en bataille et elle sent la cigarette froide.
« Merci Claire, t’es un ange. Je te revaudrai ça ! »
Je souris encore. Mais cette fois, c’est crispé.
Le lendemain matin, au marché du quartier, je croise Lucie, une voisine du troisième.
« Tu sais, Claire… On t’admire toutes pour ce que tu fais pour Sandrine. Mais tu devrais penser à toi aussi. »
Je ris nerveusement : « Je ne sais pas dire non… »
Lucie me regarde droit dans les yeux : « Il va falloir apprendre. »
Le soir même, Sandrine m’envoie un SMS : « Encore désolée pour hier ! Hugo a adoré ton gratin. Tu pourrais le prendre jeudi aussi ? »
Je fixe l’écran longtemps. Mes doigts tremblent. J’efface ma réponse trois fois avant d’oser écrire :
« Je suis désolée Sandrine, mais jeudi je ne pourrai pas garder Hugo. J’ai besoin de temps pour moi. »
Pas de réponse pendant deux heures. Puis : « Ah… Ok. Je vais me débrouiller alors. »
Le lendemain dans l’ascenseur, silence glacial. Hugo baisse les yeux. Sandrine me lance un regard blessé.
« Tu m’en veux ? »
Je prends une grande inspiration : « Non Sandrine… Mais j’ai aussi mes limites. J’ai besoin qu’on respecte mon temps et mon espace. »
Elle soupire : « Tu sais que c’est dur pour moi… »
Je hoche la tête : « Je le sais. Mais ce n’est pas à moi d’assumer tout ça seule. »
Le malaise s’installe dans l’immeuble. Les autres voisins chuchotent sur mon changement d’attitude. Certains me félicitent discrètement, d’autres trouvent que j’exagère.
Un soir, Hugo frappe à ma porte avec un dessin : « Merci Claire pour tout ce que tu as fait pour moi… »
Je fonds en larmes devant lui.
Sandrine finit par venir s’excuser quelques jours plus tard : « Je crois que j’ai abusé… Je ne voulais pas te perdre comme amie. »
On se serre dans les bras, maladroitement.
Depuis, nos relations sont plus équilibrées. Parfois j’aide encore, mais seulement quand je le veux vraiment.
Est-ce qu’on peut dire non sans culpabiliser ? Est-ce qu’on a le droit de poser ses limites même quand on comprend la détresse de l’autre ? J’aimerais savoir ce que vous en pensez…