Mon voisin m’offre des fleurs et du chocolat : mon mari explose, mais ai-je vraiment tort d’accepter un simple geste ?
« Tu vas encore me dire que c’est innocent, Claire ? » La voix de François résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre le bouquet de pivoines contre moi, le papier froissé crisse sous mes doigts tremblants. Il y a encore une heure, je souriais devant la porte, surprise par la gentillesse de Paul, notre nouveau voisin du troisième. Il m’a tendu les fleurs et une boîte de chocolats en s’excusant presque : « C’est pour vous remercier de m’avoir aidé à porter mes cartons l’autre jour. »
Mais maintenant, face au regard noir de François, je ne sais plus quoi penser. « Ce n’est rien, juste un geste de politesse… » Ma voix se brise. Il s’approche, les poings serrés. « Tu crois que je suis idiot ? Tu crois que je ne vois pas comment il te regarde ? »
Je voudrais lui dire qu’il se trompe, que Paul n’a rien fait de mal. Mais au fond, je sens monter en moi une chaleur étrange, un frisson d’excitation que je n’ai pas ressenti depuis des années. Depuis quand ne m’a-t-on pas offert des fleurs ? Depuis quand n’ai-je pas eu droit à un regard admiratif ?
François et moi, on s’est connus à la fac à Lyon. On a traversé ensemble les galères du premier boulot, les nuits blanches avec les enfants malades, les vacances annulées faute d’argent. On a tout partagé, même l’ennui. Surtout l’ennui. Depuis que les enfants sont partis faire leurs études à Toulouse et à Lille, notre appartement résonne d’un silence pesant. Nos conversations tournent en rond : le travail, les factures, la météo. Parfois, j’ai l’impression d’être devenue invisible.
Paul, lui, débarque dans notre immeuble comme un rayon de soleil. Il a la cinquantaine élégante, un sourire timide et des mains qui tremblent un peu quand il parle. Il vient de divorcer, il ne connaît personne ici. La première fois que je l’ai croisé dans l’ascenseur avec ses cartons de livres, il m’a demandé où trouver une bonne boulangerie. J’ai ri, il a rougi. C’était simple, léger.
Mais pour François, rien n’est jamais simple. Depuis qu’il a vu Paul me saluer avec ce petit air complice, il est sur le qui-vive. Il fouille mes messages sur mon téléphone quand je le laisse traîner sur la table basse. Il me reproche mes sourires, mes silences, mes absences même quand je suis là.
Hier soir encore, il a claqué la porte après le dîner. « Si tu veux aller boire un café avec ton nouvel ami, ne te gêne pas ! » J’ai eu envie de hurler : ce n’est pas Paul le problème, c’est nous ! Mais je me suis tue. Comme toujours.
Ce matin, Paul a frappé à ma porte avec ses fleurs et ses chocolats. J’ai hésité avant d’ouvrir. Il a deviné mon malaise : « Je ne veux pas vous causer d’ennuis… » Sa voix était douce, presque triste. J’ai senti mes yeux piquer. « Ce n’est pas vous… » ai-je murmuré.
Je me suis surprise à lui raconter ma vie : la routine qui tue le désir, les disputes qui ne mènent à rien, la sensation d’étouffer dans mon propre salon. Il m’a écoutée sans juger, sans interrompre. Puis il m’a dit : « Vous méritez d’être heureuse, Claire. »
Ces mots simples ont fait sauter un verrou en moi. J’ai pleuré comme une enfant dans les bras d’un quasi-inconnu. Quand François est rentré plus tôt que prévu et nous a trouvés là – moi essuyant mes larmes, Paul tenant maladroitement le bouquet – il a explosé.
« Tu te fous de moi ?! »
J’ai voulu expliquer mais il n’a rien voulu entendre. Il a jeté les fleurs à la poubelle et claqué la porte derrière lui.
Depuis trois jours, il ne me parle plus. Il dort sur le canapé du salon et part travailler avant que je me lève. Je tourne en rond dans l’appartement vide, le cœur serré par la culpabilité et la colère mêlées.
Est-ce si grave d’accepter un peu de douceur quand on se sent oubliée ? Est-ce trahir son couple que de vouloir exister aux yeux de quelqu’un d’autre ?
Hier soir, j’ai croisé Paul dans l’escalier. Il m’a souri tristement : « Je suis désolé pour tout ça… »
Je lui ai répondu : « Ce n’est pas votre faute. Peut-être que ça devait arriver… »
Je repense à François, à nos vingt-cinq ans de vie commune. À tout ce qu’on a construit ensemble – et à tout ce qu’on a laissé s’effriter sans rien dire.
Ce matin encore, j’hésite devant la porte du salon. Dois-je aller lui parler ? Lui dire que j’ai besoin qu’il me voie vraiment ? Ou bien est-il déjà trop tard ?
Est-ce vraiment si mal de vouloir être aimée autrement ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?