Mariée à un homme, mais prisonnière de sa mère : Mon combat pour exister

« Tu ne vas pas encore faire les pâtes comme ça, Camille ? » La voix de Monique résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la cuillère en bois, les jointures blanches, et je retiens mes larmes. Julien, mon mari, est assis à la table, les yeux rivés sur son téléphone. Il ne dit rien. Il ne dit jamais rien quand sa mère me rabaisse.

Je me souviens du jour où il m’a demandé en mariage, sur le pont Alexandre III, la Seine illuminée derrière nous. J’étais folle d’amour. Je croyais que rien ne pourrait nous séparer. Mais dès la première semaine après notre mariage, tout a basculé. Monique a insisté pour que nous venions vivre chez elle à Vincennes « le temps de trouver nos marques ». J’avais mon propre appartement à Montreuil, mais Julien a dit que ce serait plus simple, « pour quelques mois seulement ».

Quelques mois sont devenus deux ans. Deux ans à vivre sous le même toit que cette femme qui décidait de tout : ce que nous mangions, à quelle heure nous devions rentrer, même la couleur des rideaux dans notre chambre. Je n’étais plus une épouse, j’étais une invitée tolérée dans ma propre vie.

Un soir, alors que je rentrais tard du travail – j’étais restée pour finir un dossier important au cabinet d’architectes où je travaille – Monique m’attendait dans le salon. Julien était là aussi, l’air gêné.

— Camille, tu pourrais prévenir quand tu rentres tard. Ici, on dîne en famille.

J’ai regardé Julien, espérant un mot de soutien. Il a juste haussé les épaules.

— Maman a raison…

Ce soir-là, j’ai pleuré dans la salle de bains, la porte verrouillée. Je me suis demandé comment j’en étais arrivée là. J’avais toujours été indépendante, fière de mes choix. Mais l’amour m’avait aveuglée.

Les semaines ont passé et Monique a pris de plus en plus de place. Elle critiquait ma façon de m’habiller (« Tu devrais porter des couleurs plus sobres »), mes amis (« Tu sais, ces gens-là ne sont pas vraiment fréquentables »), même ma famille (« Ta mère est trop envahissante »). Julien ne disait rien. Pire : il prenait souvent son parti.

Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Monique est entrée dans la cuisine.

— Tu comptes faire des enfants quand ? Tu sais que Julien veut être père jeune.

Je me suis figée. Nous n’avions jamais vraiment parlé d’enfants avec Julien. Il avait toujours dit qu’on avait le temps.

— On verra… On n’est pas pressés.

Elle a levé les yeux au ciel.

— Tu sais, à ton âge…

Julien est arrivé à ce moment-là. Monique s’est tournée vers lui :

— Dis-lui toi-même !

Il a soupiré :

— Maman a raison…

Encore une fois. Toujours cette phrase qui me transperçait le cœur.

J’ai commencé à éviter la maison. Je restais plus tard au bureau, je voyais mes amies en cachette. Un soir, mon amie Sophie m’a prise dans ses bras :

— Camille, tu ne peux pas continuer comme ça. Tu t’effaces complètement.

Mais comment partir ? J’aimais Julien. Ou plutôt, j’aimais l’homme qu’il était avant que sa mère ne prenne toute la place.

Un soir d’hiver, alors que je rentrais sous la pluie battante, j’ai trouvé Monique assise dans le salon avec Julien. Ils parlaient à voix basse. Quand je suis entrée, ils se sont tus.

— Camille, il faut qu’on parle, a dit Julien.

Monique a pris la parole avant lui :

— Je pense qu’il serait mieux que tu retournes chez toi quelques temps. Pour réfléchir.

J’ai regardé Julien. Il n’a pas levé les yeux vers moi.

— Peut-être que c’est mieux… a-t-il murmuré.

J’ai senti mon cœur se briser en mille morceaux. J’ai fait ma valise en silence et je suis partie sous la pluie, sans un mot.

Chez moi à Montreuil, j’ai retrouvé mes repères peu à peu. Mais chaque soir, je relisais les messages de Julien : « Maman pense que tu devrais t’excuser », « Maman dit que tu devrais faire un effort ». Jamais un mot de lui-même. Toujours « Maman dit ».

Un jour, ma mère est venue me voir. Elle m’a prise dans ses bras et m’a dit :

— Ma chérie, tu mérites mieux qu’un homme qui n’a pas coupé le cordon.

Ses mots m’ont frappée comme une gifle et m’ont réveillée.

J’ai décidé d’aller voir Julien une dernière fois. Il était là, assis dans le salon avec Monique qui tricotait.

— Julien, tu dois choisir : ta mère ou moi.

Il a baissé les yeux. Monique a souri d’un air satisfait.

— Je ne peux pas te demander ça…

J’ai compris alors que je ne gagnerais jamais contre elle. J’ai tourné les talons et je suis partie sans me retourner.

Aujourd’hui encore, je me demande comment j’ai pu laisser quelqu’un d’autre diriger ma vie à ce point. Pourquoi ai-je accepté de m’effacer pour un homme qui n’était qu’un fils avant d’être un mari ?

Et vous… Jusqu’où seriez-vous prêts à aller par amour ? Peut-on vraiment aimer quelqu’un qui ne sait pas s’affranchir de sa famille ?