L’été où Camille a voulu la plus belle chambre : une leçon de famille

« Ce n’est pas juste ! Je veux la chambre avec la vue sur la mer, sinon je ne viens pas ! » La voix de Camille résonne encore dans ma tête, aiguë, tranchante, brisant le calme du salon où nous étions tous réunis pour organiser nos vacances. Je me souviens avoir échangé un regard désemparé avec mon mari, Gérard. Nos enfants, Lucie et Antoine, semblaient tout aussi surpris. Camille, douze ans à peine, venait de poser une bombe au cœur de notre réunion familiale.

Je n’aurais jamais imaginé que ce séjour tant attendu dans ce vieux gîte breton tournerait ainsi. Nous avions réservé ce lieu pour renouer les liens, loin du tumulte parisien. Mais dès l’annonce de la répartition des chambres, Camille s’était braquée. « Pourquoi ce serait toujours les adultes qui choisissent ? J’ai de meilleures notes que Paul et Chloé ! » s’était-elle écriée en pointant ses cousins du doigt. Paul, dix ans, avait baissé les yeux, tandis que Chloé, sept ans, s’était réfugiée dans les bras de sa mère.

Le silence s’était installé. Lucie, la mère de Camille, avait tenté de temporiser : « Ma chérie, tout le monde aura une belle chambre. » Mais Camille n’en démordait pas. Elle voulait celle du haut, avec le grand balcon et la vue sur l’océan. Je sentais la colère monter en moi. Comment en étions-nous arrivés là ? Où était passée la petite fille rieuse qui partageait ses bonbons avec ses cousins ?

Le trajet jusqu’en Bretagne fut tendu. Camille boudait à l’arrière de la voiture. Gérard marmonnait entre ses dents : « À notre époque, on n’aurait jamais osé… » Moi, je repassais en boucle la scène dans ma tête. Avions-nous trop cédé à Camille ? Était-ce le reflet d’une génération qui ne sait plus attendre ni partager ?

À l’arrivée au gîte, tout le monde était fatigué. Les enfants couraient déjà dans le jardin, sauf Camille qui restait plantée devant la porte d’entrée, bras croisés. Je pris une grande inspiration et m’approchai d’elle.

— Camille, viens voir avec moi.

Elle me suivit à contrecœur jusqu’à la fameuse chambre. La vue était à couper le souffle : l’océan scintillait sous le soleil couchant. Je m’assis sur le lit et tapotai la place à côté de moi.

— Tu sais, quand j’avais ton âge, je partageais une chambre avec mes deux sœurs. On se chamaillait beaucoup… mais on riait aussi énormément. Ce n’était pas toujours facile, mais c’est là que j’ai appris ce qu’était le partage.

Camille détourna les yeux.

— Mais moi je veux juste une fois avoir quelque chose de mieux que les autres…

Sa voix tremblait. Je sentis mon cœur se serrer. Derrière son caprice se cachait une blessure que je n’avais pas vue venir.

— Tu as l’impression qu’on ne te voit pas assez ?

Elle haussa les épaules.

— Paul est toujours malade alors tout le monde s’inquiète pour lui… Chloé est la petite dernière… Moi je dois toujours être raisonnable.

Je pris sa main dans la mienne.

— Ce n’est pas facile d’être l’aînée. Mais tu sais, avoir la plus belle chambre ne changera rien à l’amour qu’on te porte. Ce qui compte, c’est ce qu’on partage ensemble.

Elle resta silencieuse un moment puis murmura :

— Mais si je cède encore, on va m’oublier…

Cette phrase me transperça. J’avais cru voir un caprice là où il y avait un appel à l’attention.

Le soir venu, toute la famille se retrouva autour d’un grand plat de crêpes. L’ambiance était lourde. Gérard lança timidement :

— Et si on tirait au sort les chambres ?

Camille leva les yeux vers moi. J’acquiesçai doucement.

— Oui, tirons au sort… mais celui ou celle qui aura la plus belle chambre devra inviter les autres à y passer du temps ensemble chaque jour.

Un sourire timide éclaira le visage de Camille. Le tirage au sort désigna Paul comme gagnant. Il sauta de joie puis regarda sa cousine :

— Tu viendras jouer avec moi sur le balcon ?

Camille hésita puis accepta d’un signe de tête.

Les jours suivants furent différents. Camille participait aux jeux collectifs, riait avec ses cousins et proposait même d’organiser une soirée pyjama dans « la chambre de Paul ». Un soir, alors que nous regardions tous le coucher du soleil depuis le balcon tant convoité, elle s’approcha de moi et chuchota :

— Mamie… tu avais raison. C’est mieux quand on partage.

Je la serrai fort contre moi.

Mais cette histoire m’a laissée songeuse. Comment en sommes-nous arrivés à ce que nos enfants réclament toujours plus ? Est-ce notre société qui pousse chacun à vouloir être « le meilleur », « avoir plus » ? Ou avons-nous oublié de leur transmettre l’essentiel : la joie simple d’être ensemble ?

Et vous, comment auriez-vous réagi face à cette situation ? Pensez-vous qu’on peut encore apprendre à nos enfants la gratitude et le partage dans un monde où tout semble leur être dû ?