« Les clés de la discorde : quand ma belle-mère a franchi la limite »

« Claire, tu n’as pas rangé la vaisselle comme il faut. Et regarde, il y a encore des miettes sur la table ! »

Je sursaute. Il est 8h du matin, je suis encore en pyjama, et Monique, ma belle-mère, est déjà dans notre cuisine. Je n’ai pas entendu la porte d’entrée s’ouvrir. Elle a ses propres clés, bien sûr. C’est Pierre qui lui a donné, « au cas où ». Mais ce « au cas où » est devenu une routine étouffante.

Je serre la mâchoire. J’aimerais lui répondre, mais je n’ose pas. Pierre dort encore. Je me contente de marmonner un « je vais m’en occuper », tout en ramassant les miettes qu’elle pointe du doigt avec une satisfaction à peine voilée.

Cela fait cinq ans que Pierre et moi sommes mariés. Nous vivons dans un petit deux-pièces du 15ème arrondissement, un cocon que nous avons aménagé avec soin. Mais depuis quelques mois, ce cocon est devenu une scène de théâtre où Monique joue le premier rôle.

Tout a commencé après l’opération de la hanche de Monique. Elle ne pouvait plus monter les escaliers de son immeuble sans ascenseur à Montreuil. Pierre a proposé qu’elle vienne chez nous « le temps de sa convalescence ». J’ai accepté, bien sûr. On ne laisse pas une femme seule dans la difficulté. Mais la convalescence s’est éternisée…

Au début, je compatissais. Je faisais tout pour qu’elle se sente bien. Je lui préparais ses tisanes préférées, je l’accompagnais à ses rendez-vous médicaux. Mais très vite, Monique a pris ses aises. Elle a commencé à critiquer ma façon de cuisiner (« Tu mets trop de sel, Claire ! »), ma manière de plier le linge (« On ne fait pas comme ça chez nous »), et même notre façon d’éduquer notre chat (« Ce chat est mal élevé, il saute partout ! »).

Pierre, lui, restait en retrait. Il me disait : « C’est normal, elle est stressée par sa santé… Sois patiente. » Mais chaque jour, je sentais mon espace vital se réduire.

Un matin, alors que je terminais une visioconférence importante pour mon travail, Monique est entrée dans le salon sans frapper :

— Claire, tu pourrais baisser le ton ? J’essaie de regarder mon émission.

J’ai rougi de colère et de honte devant mes collègues qui entendaient tout. J’ai coupé la caméra en bredouillant une excuse.

Le soir même, j’en ai parlé à Pierre.

— Tu ne trouves pas qu’elle exagère ?
— Elle est fatiguée…
— Et moi alors ? Je ne compte pas ?

Il a soupiré, mal à l’aise. J’ai compris que je ne pouvais compter que sur moi-même.

J’ai commencé à éviter Monique autant que possible. Je sortais plus tôt faire les courses, je travaillais dans des cafés bondés pour fuir l’appartement. Mais elle trouvait toujours un moyen d’être là : elle fouillait dans nos affaires (« Je cherchais juste un torchon… »), elle lisait mes messages laissés sur la table (« C’est qui ce Julien ? »), elle critiquait mes amis (« Ta copine Sophie parle trop fort… »).

Un soir, alors que Pierre et moi étions enfin seuls devant un film, Monique est entrée sans prévenir :

— Vous avez pensé à sortir les poubelles ? Ça sent mauvais dans l’entrée.

Pierre s’est levé sans protester. Moi, j’ai senti les larmes monter.

La goutte d’eau est arrivée un samedi matin. Je rentrais des courses et j’ai trouvé Monique en train de fouiller dans mon tiroir à sous-vêtements.

— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je cherchais un drap propre pour moi…

J’ai explosé :

— Ça suffit ! Tu n’as pas le droit d’entrer ici sans demander !
— Oh, excuse-moi Madame-je-sais-tout ! Chez moi on partage tout !

J’ai claqué la porte de la chambre et j’ai pleuré comme une enfant.

Le soir même, j’ai pris une décision. J’ai attendu que Pierre soit là et j’ai dit à Monique :

— Il faut qu’on parle. Je crois qu’il est temps que tu retournes chez toi.

Pierre a blêmi. Monique m’a regardée comme si je venais de la trahir.

— Tu veux me mettre dehors ? Après tout ce que j’ai fait pour vous ?
— Ce n’est pas ça… Mais on a besoin de retrouver notre intimité. Et il faut que tu me rendes les clés.

Un silence glacial s’est installé. Pierre n’a rien dit. Monique a posé les clés sur la table avec un geste théâtral.

— Très bien. Je vois que je ne suis plus la bienvenue ici.

Elle est partie le lendemain matin sans dire un mot.

Depuis ce jour, Pierre et moi vivons dans une tension sourde. Il m’en veut d’avoir « chassé sa mère », même s’il ne le dit pas ouvertement. Moi, je culpabilise encore parfois… Mais je respire enfin chez moi.

Est-ce égoïste de vouloir protéger son espace ? Où commence le respect de soi et où finit la patience envers la famille ? Vous feriez quoi à ma place ?