Le sourire de Camille au milieu des flammes
« Camille, prends juste ton sac et dépêche-toi ! » La voix de ma mère tremble, elle ne crie pas vraiment, mais je sens la panique dans ses yeux. Je serre fort mon doudou contre moi, le cœur battant. Par la fenêtre, le ciel est orange, et l’odeur de fumée pique mes narines. On entend les sirènes au loin, et les voisins courent dans la rue, certains avec des valises, d’autres avec des chats dans les bras.
Je n’ai que huit ans, mais je comprends que quelque chose de grave se passe. Papa n’est pas là ; il est parti aider les pompiers volontaires du village. Depuis deux jours, la forêt brûle. La Montagne Noire, où j’ai appris à faire du vélo et où on allait cueillir des mûres en été, n’est plus qu’un immense brasier.
Dans la voiture, maman pleure en silence. Je voudrais lui dire que tout ira bien, mais je n’y crois pas moi-même. On roule vers la salle des fêtes où tous les habitants évacués se retrouvent. Je serre mon sac contre moi. Dedans, il y a mon carnet à dessins et quelques feutres. Rien d’autre ne compte vraiment.
La salle est pleine de monde. Les adultes parlent fort, certains crient même. Les enfants pleurent ou dorment sur des matelas posés à même le sol. Je m’assois dans un coin et j’observe. J’entends parler des pompiers : « Ils sont épuisés… », « Ils n’ont pas dormi depuis deux jours… », « On va tout perdre si le vent tourne… »
Le lendemain matin, alors que maman discute avec une voisine, je sors discrètement avec mon carnet et mes feutres. Je m’installe sur un banc devant la caserne des pompiers. Ils sont là, couverts de suie, les yeux rouges de fatigue. Je commence à dessiner : un grand camion rouge, des arbres verts (comme avant), et des pompiers souriants. J’écris en haut : « Merci les héros ! »
Un pompier s’approche. Il s’appelle Julien. Il me regarde dessiner et sourit faiblement :
— Tu fais ça pour nous ?
— Oui… Vous êtes courageux.
Il s’accroupit à côté de moi :
— Tu sais, parfois on a peur aussi. Mais on fait ce qu’on peut.
Je lui tends mon dessin. Il le prend dans ses mains sales et l’accroche sur la porte de la caserne.
À partir de ce jour-là, chaque matin, je viens avec un nouveau dessin ou un mot d’encouragement. Les autres enfants me rejoignent petit à petit. On fabrique des guirlandes de cœurs en papier, on écrit « Force à vous ! », « On croit en vous ! ». Les pompiers nous remercient à chaque fois, certains essuient une larme discrète.
Mais tout n’est pas rose. Un soir, alors que je rentre à la salle des fêtes, j’entends maman discuter avec mon oncle :
— On ne pourra pas rentrer avant plusieurs jours… Et si la maison brûle ?
— Faut rester forts pour Camille.
Je me cache derrière une porte et j’écoute. J’ai peur moi aussi. Je pense à ma chambre, à mes livres, à mon chat qui s’est enfui dans la panique.
Le lendemain matin, alors que je prépare un nouveau dessin, une dispute éclate entre deux familles dans la salle :
— Vos enfants font trop de bruit !
— On est tous fatigués ici !
Les adultes se fâchent vite quand ils ont peur. Je sens la colère monter en moi aussi. Pourquoi tout ça nous arrive ? Pourquoi le feu ne s’arrête-t-il pas ?
Je retourne voir Julien à la caserne.
— Tu crois que le feu va gagner ?
Il me regarde longtemps avant de répondre :
— On ne sait jamais… Mais tant qu’on se bat ensemble, il y a toujours une chance.
Ce soir-là, je décide d’organiser quelque chose avec les autres enfants : une grande fresque pour les pompiers et pour nos familles. On dessine tous ensemble : des maisons debout, des arbres qui repoussent, des sourires partout. Les adultes viennent voir ce qu’on fait. Certains sourient pour la première fois depuis des jours.
Trois jours plus tard, la pluie tombe enfin sur la Montagne Noire. Les pompiers rentrent à la salle des fêtes sous les applaudissements. Beaucoup pleurent d’épuisement et de soulagement. Julien me soulève dans ses bras :
— Grâce à toi et à tes dessins, on a tenu bon.
Je rougis mais je suis fière.
Quand on rentre enfin chez nous, tout n’est pas comme avant : le jardin est noirci, l’air sent encore la cendre. Mais notre maison est là. Papa serre maman très fort dans ses bras.
Aujourd’hui encore, je repense à ces jours-là. Est-ce qu’on peut vraiment changer les choses avec un simple dessin ? Ou est-ce que c’est juste une façon d’espérer quand tout semble perdu ? Qu’en pensez-vous ?